Fils d'Héliopolis, l'autre visage du Brésil

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C’est une réédition en poche aux éditions 10/18, mais très opportune en ces temps où le Brésil se jette dans une orgie footballistique aux portes des favelas pour lesquelles  les millions de pépètes accordés au ballon auraient pu améliorer le quotidien de tous ces gosses perdus errant dans les décharges. Et justement, il s’agit dans ce roman, de la vie d’un garçon des favelas, miraculeusement sauvé d’un avenir sans autre horizon que la merde et la misère, la drogue et le malheur.


Pour une poignée de feijaos (des haricots avec du riz) ) savamment cuisinés par sa mère, Ludo  et sa maman sont catapultés dans un autre monde. Rebecca Carnicelli, une riche héritière, épouse d’un nabab des supermarkets, est en visite humanitaire dans la favela d’Heliopolis. Elle photographie la mère et l’enfant au sein. La mère a le sens de l’accueil comme seuls les pauvres l’ont en eux, spontanément ils offrent et partagent leur pitance.  Elle  a préparé  pour sa visiteuse un bol de haricots noirs que la jeune femme accepte. Epatée qu’un plat puisse être si bon cuisiné avec rien dans un  tel taudis, Rebecca questionne la mère et le lien se crée autour de la préparation des mets. La femme, bouleversée par le quotidien de ces deux êtres repartira avec la mère et l’enfant qu’elle fera vivre dans sa maison de campagne. L’arrachement est sans transition, le geste altruiste peut-être un caprice pour servir la conscience.  La mère néanmoins  se retrouve bien traitée, cuisinière pour la famille qui vient en villégiature chaque week-end,  quant à l’enfant, il  sera élevé et éduqué comme sa sœur adoptive, la fille de la famille.


L’attachant Ludo grandit dans cette vie hors du temps et de la réalité,  il se lie à sa sœur adoptive Melissa et sans doute plus qu’il ne le faudrait,  fait l’expérience de la richesse et de son absurdité comme il la fera de la misère de l’autre côté de la rue quand il devra, jeune adulte, bosser juste en face d’une favela.  Ce qu’on lui demandera  professionnellement de faire alors pour ces bidonvilles cristallisera ses démons et ses remords.  

Ce fils d’Heliopolis ne cesse de creuser l’insupportable  déchirure entre ces deux mondes et met à l’épreuve sa loyauté, celle qu’il doit à ses bienfaiteurs comme celle qu’il doit à sa mère et à ses frères de misère  qui  le renient. Il essaie de composer et paie le prix fort de ses trahisons parce qu’il fera face à tout. Mais est-ce que c’est trahir que de vouloir rester en équilibre ?


L’écriture est efficace, elle tient bien le lecteur  avec une espèce de pudeur lorsqu’il s’agit de dire les choses peu plaisantes. Parce que quand même, Ludo parfois se complaît dans la dissonance. Le lien entre Melissa et Ludo est empli de grâce parfois cruelle, comme celui qui l’unit à sa mère.


S’il est vrai que le choix des personnages reste  un peu  caricatural, l’enfant pauvre sauvé par la jolie  dame patronnesse, qui tombe de surcroît amoureux de sa sœur adoptive, il n’en reste pas moins que ce roman sait dire  l’absurdité d’une société où se font face sans se côtoyer deux mondes qui semblent être anachroniques alors qu’une simple  rue les sépare.  D'ailleurs, il est dit dès le départ du roman que l'histoire contée est extraordinaire, elle n'arrive jamais dans la réalité, les miséreux restent  hélas dans les favelas. 

Les personnages qui évoluent dans la société de publicité dans laquelle travaille Ludo sont quant à eux très justes, ils illustrent parfaitement l’utilisation  hypocrite et humiliante de la misère  sous couvert de mécénat pour servir les intérêts des grosses boîtes.   

C’est un texte alerte, profond et absolument pas larmoyant,  la nature y prend sa place tout comme l'importance de la nourriture, bref un livre à embarquer dans vos bagages de vacances, pour un autre visage du Brésil.


Anne Bert


James Scudamore – Fils d’Heliopolis –  Traduit de l’anglais par Anne-Marie Carrière- Editions 10/18 – mai 2014 - 7,70 €

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