Quai d'Orsay : un regard magistral sur un homme et sa manière d’entrainer le monde derrière lui.
La France ne l’entend pas de cette oreille. Notamment Alexandre Taillard de Worms, ministre des affaires étrangères. Depuis le Quai d’Orsay, il mène la guerre à la guerre. Persuadé que les inspections fonctionnent, il veut permettre aux acteurs de l’ONU de mener à bien leur travail pacifique.
Mais qui dit être un grand homme - tant par la
taille que par la position sociale - ne veut pas dire être exempte d’un
caractère... particulier ! Le ministre est un visionnaire qui emporte son
auditoire parfois d’une manière assez surprenante. Mais il peut compter sur une
équipe compétente pour le soutenir ou le retenir le cas échéant. Une équipe
très inventive, peut être trop, habituée aux rouages du fonctionnement de
cabinet.
Arthur Vlaminck, présent depuis quelques mois au ministère, a encore un peu de
mal avec certaines habitudes de cet état-major diplomatique. Il découvre donc
ci et là l’envers du décor, l’envers de l’ONU et du quai d’Orsay.
Blain et Lanzac signent un deuxième tome de leur
série Quai d’Orsay. Le premier ouvrage se centrait sur une découverte du
monde de la politique, du personnage d’Alexandre Taillard de Worms et quelques
aventures plus ou moins rocambolesque avec le ministre. Adulé tant par la
critique que par les lecteurs (plus de
110 000 ventes pour le premier tome, chiffre fournis par l’éditeur), il est
étonnant de voir que ce tome fut en plus soutenu par les politiques : il
obtient le prix des députés et M. de Villepin fut tout simplement, dit-on,
un des meilleurs vendeurs du livre.
Pourquoi M. de Villepin ? Car c’est tout simplement lui qui se cache
derrière Alexandre Taillard de Worms. Le scénariste écrivant sous le pseudonyme
d’Abel Lanzac a utilisé son expérience de conseiller affecté aux langages
(l’écriture des discours) auprès de lui, du quai d’Orsay à Matignon, pour nous
dépeindre l’homme à Christophe Blain, le dessinateur, qui en a saisi la
substance.
Dans un entretien donné au journal Le Monde, Abel Lanzac dit
d’ailleurs à ce sujet : "si vous
regardez bien, Taillard de Vorms ne ressemble absolument pas à Villepin. Voyez
son nez long, droit et étroit, sa houppette à trois branches, ses épaules
concaves. Mais Christophe en a saisi dans son trait quelque chose de plus
profond que la ressemblance."
Toute la BD est vue depuis la position des
conseillers dont faisait partie Lanzac : soit Arthur rencontre lui-même le
ministre, soit un conseiller lui en parle. Ainsi c’est un ouvrage sans réel
héros que nous avons dans les mains : Arthur n’est qu’un témoin et
Alexandre n’est qu’un écran de fumée, parfois présent, parfois planant telle
une ombre dans les couloirs du ministère. Nous n’avons qu’une perception de
celui-ci, une vision floutée par la vision des autres, un pan de sa
personnalité qu’il offre aux regards de ses collaborateurs. Mais quels
regards !
Citant Démocrite, courant dans les rues de Washington, négociant avec son
homologues américain, réglant la crise de l’anchois entre deux discutions sur
le Lousdem, il passe son temps à torturer ses conseillers pour tirer le
meilleur d’eux-mêmes. Bien sûr il y aura des échecs, des erreurs, etc. Mais
tout cela est pour nous faire rire et sourire.
Rien n’est faux dans l’ouvrage : "La vérité, dit Abel Lanzac, plus on la raconte, plus on l’invente : c’est le
principe de la synthèse. Quai d’Orsay
est une synthèse, non pas un document historiographique."
Sans nous donner une histoire suivant à la lettre l’Histoire, en agençant les
voyages, discours et rencontres selon les besoins de leur scénario, les auteurs
nous permettent néanmoins de parfaitement comprendre les tenant et les
aboutissants de la résolution 1441 de l’ONU et celle sur la guerre en Irak.
Sans tomber dans l’encyclopédie politique, cela relève presque de
l’exploit !
Il faut aussi lire cette BD en se disant qu’elle n’est pas un procès à l’homme politique, un moyen pour un conseiller torturé de se venger sous le couvert de l’anonymat : sans prendre partie sur la question de la droite ou de la gauche, sans aimer ou non l’homme, l’ouvrage nous offre en réalité un regard. Nous devrions même dire le regard d’un regard (celui de Blain sur l’histoire de Lanzac qui parle de Villepin). Les couvertures sont exactement dans cette idée : Alexandre Taillard de Worms est dans un aquarium...
L’équipe de conseillers du ministre est comparée à une petite barque dans le premier ouvrage. Cependant cette petite barque réussira à faire échec au galion des USA. Ils offriront au monde, depuis le Conseil de Sécurité de l’ONU, un grand discours qui marquera l’humanité. Car "c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe", qui se dresse par l’intermédiaire d’un homme, aussi étonnant soit-il. Parfois, on se dit que ceux qui nous gouvernent sont à la fois des génies et des fous. Peut-être est-ce qu’il faut pour faire de la politique... En tout cas, il faut du talent pour offrir une excellente BD : Blain et Lanzac en ont !
Pierre Chaffard-Luçon
Blain & Lanzac, Quai d’Orsay : chroniques diplomatiques, tome 2, Dargaud, décembre 2011, 100 p.- 16,95 €
Article publié le 9 décembre 2011 sur lelitteraire.com
1 commentaire
Un pur bijou en effet, dont le tournage de l'adaptation cinéma est presque terminé. La sortie du film est prévue pour la fin de l'année, à ce stade, et on ne peut que conseiller aux impatients (dont je fais partie) de se faire plaisir en lisant et relisant les deux tomes de la BD, dont les auteurs ont su saisir un peu de l'essence de la politique et de la diplomatie.