Quai d'Orsay : un regard magistral sur un homme et sa manière d’entrainer le monde derrière lui.

La crise du Lousdem bat son plein. Le Président des USA, poussé par les Faucons américains, souhaite intervenir dans ce pays pour le remettre dans le droit chemin. Il faut reconnaitre que depuis les attentas du 11 septembres, l’Oncle Sam est plutôt obnubilé par le terrorisme. Or d’après certaines rumeurs, le Lousdem dispose d’armes de destruction massive. Le Secrétaire d’état américain réussit à pousser son président vers l’ONU pour obtenir une résolution du Conseil de Sécurité et ainsi que soit déployés des casques bleus dans le Moyen-Orient.

La France ne l’entend pas de cette oreille. Notamment Alexandre Taillard de Worms, ministre des affaires étrangères. Depuis le Quai d’Orsay, il mène la guerre à la guerre. Persuadé que les inspections fonctionnent, il veut permettre aux acteurs de l’ONU de mener à bien leur travail pacifique.

 

Mais qui dit être un grand homme - tant par la taille que par la position sociale - ne veut pas dire être exempte d’un caractère... particulier ! Le ministre est un visionnaire qui emporte son auditoire parfois d’une manière assez surprenante. Mais il peut compter sur une équipe compétente pour le soutenir ou le retenir le cas échéant. Une équipe très inventive, peut être trop, habituée aux rouages du fonctionnement de cabinet.
Arthur Vlaminck, présent depuis quelques mois au ministère, a encore un peu de mal avec certaines habitudes de cet état-major diplomatique. Il découvre donc ci et là l’envers du décor, l’envers de l’ONU et du quai d’Orsay.

 

Blain et Lanzac signent un deuxième tome de leur série Quai d’Orsay. Le premier ouvrage se centrait sur une découverte du monde de la politique, du personnage d’Alexandre Taillard de Worms et quelques aventures plus ou moins rocambolesque avec le ministre. Adulé tant par la critique que par les lecteurs (plus de
110 000 ventes pour le premier tome, chiffre fournis par l’éditeur), il est étonnant de voir que ce tome fut en plus soutenu par les politiques : il obtient le prix des députés et M. de Villepin fut tout simplement, dit-on, un des meilleurs vendeurs du livre.
Pourquoi M. de Villepin ? Car c’est tout simplement lui qui se cache derrière Alexandre Taillard de Worms. Le scénariste écrivant sous le pseudonyme d’Abel Lanzac a utilisé son expérience de conseiller affecté aux langages (l’écriture des discours) auprès de lui, du quai d’Orsay à Matignon, pour nous dépeindre l’homme à Christophe Blain, le dessinateur, qui en a saisi la substance.
Dans un entretien donné au journal Le Monde, Abel Lanzac dit d’ailleurs à ce sujet : "si vous regardez bien, Taillard de Vorms ne ressemble absolument pas à Villepin. Voyez son nez long, droit et étroit, sa houppette à trois branches, ses épaules concaves. Mais Christophe en a saisi dans son trait quelque chose de plus profond que la ressemblance."

 

Toute la BD est vue depuis la position des conseillers dont faisait partie Lanzac : soit Arthur rencontre lui-même le ministre, soit un conseiller lui en parle. Ainsi c’est un ouvrage sans réel héros que nous avons dans les mains : Arthur n’est qu’un témoin et Alexandre n’est qu’un écran de fumée, parfois présent, parfois planant telle une ombre dans les couloirs du ministère. Nous n’avons qu’une perception de celui-ci, une vision floutée par la vision des autres, un pan de sa personnalité qu’il offre aux regards de ses collaborateurs. Mais quels regards !
Citant Démocrite, courant dans les rues de Washington, négociant avec son homologues américain, réglant la crise de l’anchois entre deux discutions sur le Lousdem, il passe son temps à torturer ses conseillers pour tirer le meilleur d’eux-mêmes. Bien sûr il y aura des échecs, des erreurs, etc. Mais tout cela est pour nous faire rire et sourire.


Rien n’est faux dans l’ouvrage : "La vérité, dit Abel Lanzac, plus on la raconte, plus on l’invente : c’est le principe de la synthèse. Quai d’Orsay est une synthèse, non pas un document historiographique."
Sans nous donner une histoire suivant à la lettre l’Histoire, en agençant les voyages, discours et rencontres selon les besoins de leur scénario, les auteurs nous permettent néanmoins de parfaitement comprendre les tenant et les aboutissants de la résolution 1441 de l’ONU et celle sur la guerre en Irak. Sans tomber dans l’encyclopédie politique, cela relève presque de l’exploit !

 

Il faut aussi lire cette BD en se disant qu’elle n’est pas un procès à l’homme politique, un moyen pour un conseiller torturé de se venger sous le couvert de l’anonymat : sans prendre partie sur la question de la droite ou de la gauche, sans aimer ou non l’homme, l’ouvrage nous offre en réalité un regard. Nous devrions même dire le regard d’un regard (celui de Blain sur l’histoire de Lanzac qui parle de Villepin). Les couvertures sont exactement dans cette idée : Alexandre Taillard de Worms est dans un aquarium...

 

L’équipe de conseillers du ministre est comparée à une petite barque dans le premier ouvrage. Cependant cette petite barque réussira à faire échec au galion des USA. Ils offriront au monde, depuis le Conseil de Sécurité de l’ONU, un grand discours qui marquera l’humanité. Car "c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe", qui se dresse par l’intermédiaire d’un homme, aussi étonnant soit-il. Parfois, on se dit que ceux qui nous gouvernent sont à la fois des génies et des fous. Peut-être est-ce qu’il faut pour faire de la politique... En tout cas, il faut du talent pour offrir une excellente BD : Blain et Lanzac en ont !

 

Pierre Chaffard-Luçon

 

Blain & Lanzac, Quai d’Orsay : chroniques diplomatiques, tome 2, Dargaud, décembre 2011, 100 p.- 16,95 €

 

Article publié le 9 décembre 2011 sur lelitteraire.com

1 commentaire

Un pur bijou en effet, dont le tournage de l'adaptation cinéma est presque terminé. La sortie du film est prévue pour la fin de l'année, à ce stade, et on ne peut que conseiller aux impatients (dont je fais partie) de se faire plaisir en lisant et relisant les deux tomes de la BD, dont les auteurs ont su saisir un peu de l'essence de la politique et de la diplomatie.