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Jeanne Bénameur, Profanes : À l’heure du réveil

Foi de lecteur, Profanes est un superbe roman ! Partant des failles de l’existence, Jeanne Benameur tisse une véritable méditation sur la vie. Après tout, n’est-ce pas les blessures qui célèbrent l’humanité à vif ?

 

Avec Octave Lassalle, ancien chirurgien de 90 ans, on pouvait s’attendre à un roman de mémoire qui ressasse la vie passée et bien remplie d’un homme actif, riche, cultivé. Mais au soir de son existence, Octave s’ébroue,  et rompt avec l’ordre établi. Il embauche quatre personnes qui vont scander ses journées en prenant soin de lui, du jardin, en lui lisant l’actualité, en veillant sur son sommeil… Il ne les a pas choisis au hasard : à leur manière, ces quatre-là ont été bousculés par la vie. Que va-t-il se passer ? « Quand on laisse la souffrance vous prendre trop longtemps, on finit par être paresseux de sa propre vie », écrit Jeanne Benameur. À l’approche de la fin, c’est l’heure du réveil. Car Octave, qui a fait des miracles, est aussi brisé par la mort de sa fille Claire dans un accident de voiture alors qu’elle rejoignait son amant.

 

Le titre pourrait faire croire que ces personnages sont sans foi ni loi. Certes, Octave bute sur l’existence de Dieu, mais pour autant confesse ses convictions profondes : « Dans cette maison, c’est moi qui continue à croire, envers et contre tout, qu’il y a quelque chose de plus fort que la mort, quelque chose de plus intéressant que la mort. » La plume est sûre, tranchante avec ce qu’il faut de poésie du verbe pour donner chair à la douleur de vivre. Après Les insurrections singulières (Actes Sud, 2011), Jeanne Bénameur campe un vieil homme douloureux. Elle nous provoque et nous entraîne dans les méandres tortueux de l’approche de la mort, quand travaillent les regrets et le remords…

 

Et si l’emploi qu’il confie à ces quatre personnes n’était, finalement, que le subterfuge pour s’offrir la possibilité d’un vis-à-vis ? Non pas simplement briser la solitude, mais faire naître une relation si forte que chacun dépend de l’autre, tout en gardant sa liberté… Marc, l’homme du matin, est chargé du jardin ; Hélène, peintre, aura pour charge de réaliser le portrait de la fille défunte, à partir de la seule photo que possède encore le vieil homme ; Yolande, forte femme en apparence, s’occupera de la fin de journée, du repas, tandis que Béatrice assurera la permanence de nuit. « Les quatre l’ont secoué, lui ont donné la force qu’aucune foi en un dieu, fût-il d’amour, ne lui a jamais donnée. Lui, sa foi, elle est dans les êtres humains, c’est tout. » Mais au bout du compte… on se demande qui soutient l’autre : Octave ne les fait-il pas, en quelque sorte, renaître à la vie ?

 

Christophe Henning

 

Jeanne Bénameur, Profanes, Actes Sud, janvier 2013, 288 pages, 20 €

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