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Le Rose Fountain Motel de Jabbour Douaihy est-il l’hôtel du Liban ?

Pour beaucoup d’européens le Proche Orient est un monde étrange, et souvent la vision que certains en ont se résume au conflit israélo-palestinien ou à la guerre du Liban, tragédie qui s’étala sur une quinzaine d’années, cent fois trop longues pour une époque déjà versée dans l’instantanée. On en parla donc à grands coups de clichés et de raccourcis que l’Histoire balayera d’un revers de main car la complexité du conflit qui, de 1975 à 1990, saigna le pays du cèdre repose sur une spécificité culturelle et politique qui ne se résume pas en trois mots ou deux minutes d’antenne... Fort à propos, et par le biais de la fiction, Jabbour Douaihy réussit à donner un portrait fidèle d’un pays multiconfessionnel et multiethnique qui n’en finit de pas de susciter fantasmes et blasphèmes.

 

Jabbour Douaihy est professeur de littérature française à l’université libanaise de Tripoli. Traducteur et critique littéraire à L’Orient littéraire, il participa également, aux côtés de Samir Kassir  à l’aventure éditoriale de L’Orient-Express. Et en 2008 il figura parmi les six finalistes du Booker Prize arabe - pour un livre, Pluie de juin qui paru en 2010 chez Actes Sud -, autant dire qu’il compte parmi les grandes figures de la littérature arabe contemporaine. 


Et ce livre en témoigne, récit dense et lyrique, chronique cynique et grave d’une société multicolore qui tente de redresser la tête après quinze ans de guerre. Le livre début à la fin du conflit, début 1990, et en dépeint toutes les absurdités de la société civile qui devait alors panser ses plaies tout en essayant de rendre justice et de maintenir une paix fragile.

Ainsi, dans un petit village perché sur les hauteurs de Beyrouth, une famille tente de se maintenir la tête hors de l’eau, les al-Baz, mais les fastes d’antan se sont bien évaporés au cours du temps, et la grande maison n’a plus le lustre qui appuyait la légende. A tel point que Julia, la veuve de Francis, et ses deux fils vivent réfugiés dans les étages, et que les caves ont été abandonnés aux Arabes, ces bédouins qui viennent d’on ne sait où, et se comportent bizarrement. Le parc est à l’abandon et se transforme à vue d’œil en décharge quand, les dimanches de beau temps, les citadins viennent estiver et laissent papiers gras et bouteilles vides...


À tel point que Jojo, l’aîné, ne tarde pas à entraîner son épouse autrichienne, Margaret, en ville afin de fuir ce temps décrépi qui ne lui rappelle plus que de mauvais souvenirs ; surtout que les promesses de transformation en hôtel resteront lettre morte, car la grande maisonnée est régie par une mainmorte familiale. Reste alors le cadet auprès de sa mère...
Mais l’arrivée inopinée d’une ravissante bédouine, cousine éloignée qui n’a pas son charme dans sa poche, va un peu précipiter les choses et modifier les règles. La maisonnée en sera transformé...


S’appuyant certainement sur des faits réels - comme ceux que l’on m’a racontés - Jabbour Douaihy peint un tableau au charme réaliste d’un Liban nouveau qui doit faire face avec les mouvements de population que la guerre a engendrés, et qui ne purent être inversés. Au point que des villages entiers, des régions où dominaient une certaine culture (druze, chrétienne, musulmane) se sont retrouvés avec de nouvelles majorités, imposant soit à la nouvelle minorité de partir, soit d’accepter certains changements dans les mentalités et les comportements.
Le Liban est un patchwork de communautés qui semblent vivre ensemble, mais les frontières invisibles sont bien là, et le basculement d’un camp dans l’autre, l’arrivée massive d’une population différente crée des bouleversements en profondeur... et toute la qualité de cette narration tient dans les portraits, nombreux et variés, de toute cette population libanaise qui, parfois, est aussi différente qu’un danois peut l’être d’un italien.


Depuis 1948, les mouvements de population ont considérablement compliqué les choses : les nomades ont été parfois obligés de se sédentariser - et donc de s’habiller autrement, de son comporter autrement -, les paysans musulmans des villages du sud chassés par l’ALS (Armée du Liban Sud, inféodée à Israël) contraints de vivre en ville, les chrétiens chassés par les Druzes et qui ne peuvent retrouver leur maison du Chouf, même après la guerre, car le fait accompli a été reconnu, obligés alors de vivre dans des ruines, ou des appartements inoccupés dans la crainte, tous les jours, de voir les propriétaires rentrer au pays, etc. etc.


Ce contexte pour le moins déstabilisant impose alors au Libanais une certaine insouciance, une manière de vivre au jour le jour qui lui permet de garder la tête haute et de s’accommoder des aléas de la vie... Une manière d'accepter le défi. Un sens commun qui a permis au pays de tenir pendant la guerre, et de se relever très vite sitôt les armes rangées.
Un livre en témoigne, somme de tous les exemples les plus fous, les plus graves, les plus beaux. Un livre pour la mémoire. Un acte d’humanité...

 

François Xavier 

 

Jabbour Douaihy, Rose Fountain Motel, traduit de l’arabe (Liban) par Emmanuel Varlet, coll. "Monde arabes", Actes Sud, janvier 2009, 318 p. - 22,80 €

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