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La tentation du vide : mais après ?

Le nihilisme a ceci de radical c’est qu’il résout l’insolvable sans état d’âme : le rien comme vérité absolue. Or, rien c’est déjà quelque chose, et c’est beaucoup car pour que rien existe, soit compréhensible, perceptible, il faut bien que quelque chose soit, en face, dans la contrepartie sinon rien devient un concept, et encore, un concept ce n’est pas rien. Bref, quelque soit l’angle d’approche, le bout par lequel se saisir du problème, demeure son contraire, un bout possède deux bouts, disait Raymond Devos, et au-delà du rire et de la problématique syntaxique – et logique – le raisonnement peut se contredire à l’infini ; c’est aussi toute la subtilité de la culture juive qui n’en a jamais assez de disserter, discourir, argumenter, démontrer, élaborer, etc. Pour n’aboutir, finalement, à… rien de concret. Alors ?

 

Controverse donc au sujet de la vie, mais surtout de la mort, sujet qui semble habiter la jeune Betty qui parle aux âmes en attente de la visite des anges pour gagner les limbes promises. Est-ce bien elle qui aura conduit les treize autres adolescents de Williamston à se suicider la même nuit, celle du 21 mars 1951 ? Quel rôle a joué Antonios Pearl, ce cinquantenaire avec lequel il semble qu’elle ait entretenue une liaison épistolaire ? Que renferme l’étrange album photo retrouvé dans ses affaires ?

 

L’enquête menée par le FBI se refermera assez vite, et comme le département des Affaires non classées n’a pas encore vu le jour – et que Mulder n’est pas encore né – demeurent les conjectures, les fantasmes, les légendes…

Ce drôle de roman est une revue de détails : narré sous plusieurs angles, style et récit s’ajustant admirablement, l’histoire se dessine par fragments, lecteur-enquêteur nous avançons à petits pas dans le questionnement. Car, finalement, de réponse à ce type de fait-divers il n’y en a jamais réellement, si ce n’est les convenances avancées ici et là, soit par la famille soit par la police. Qui sait ce que peut endurer l’esprit d’un adolescent confronté à l’insupportable constat de la perte de sens d’une vie construite par des tiers (les parents, la famille, la culture, etc.) alors que le Moi profond aspire à tout autre chose, s’est bâti un idéal, et que tout s’écroule en quelques heures, voire deux trois jours dès lors que la lucidité jaillit dans une explosion révélatrice qui résume tout en un seul mot : rien.

 

La vie ne sert à rien, postulat infaillible et jamais remis en question ; après ce que l’on fait de sa vie est autre chose ; mais dans l’absolu mieux vaut le néant que ce chaos ici-bas, et il faut une sacrée force – ou une totale déraison – pour continuer à jouer ainsi la comedia del arte en se contentant du peu, sexe drogue and rock n’roll alors ? Chacun son palliatif pour attendre et faire passer le temps… Faute de solution radicale.

 

François Xavier

 

Christos Chryssopoulos, La tentation du vide (Shunyata), traduit du grec par Anne-Laure Brisac, Actes Sud, coll. « Lettres grecques », mai 2016, 156 p. – 18,00 €



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