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Derek Walcott & Peter Doig : bafouillages et gribouillages

Cette suite de cinquante et un textes présentés comme poèmes revient, en quelque sorte, à lire un commentaire descriptif des œuvres mises en miroir ; mais où est donc la poésie ?
Même une poésie narrative – déjà difficilement digeste – n’est pas aussi cul-cul, comme dirait Gombrowicz, aussi mièvre. On a l’impression de lire les lettres de François Mitterrand qui viennent de fleurir sur les têtes de gondoles des marchands du temple, nouvel affront fait à la littérature (on a l’impression de lire les émois d’un adolescent puceau) et à la mémoire d’un homme déjà largement sali par le cliché volé sur son lit de mort.
Mais la course à l’échalote semble bien ne jamais vouloir finir…

Derek Walcott publia ses premiers vers à dix-huit ans et intégra le très prestigieux circuit des universités américaines (Columbia, Harvard, Boston) comme enseignant, et l’on sait tous que les pires écrivains sont les professeurs ; or le comité du Nobel le sacra en 1992. Premier accro à une suite de longues erreurs dont le clou du spectacle fut cette année avec Dylan promu poète, écrivain, homme de Lettres alors qu’il n’est qu’un remarquable musicien, mais le mélange des genres n’est plus un concept. Sachez brave lecteur, qu’un beau matin vous allez vous réveiller médecin, maçon, expert, par la magie d’internet, de l’autosatisfaction et grâce à la crédulité des masses.

N’oublions pas que l’un des derniers génies de la chanson, Serge Gainsbourg, se mettait dans une colère noire quand on voulait lui coller l’étiquette de poète, renvoyant d’emblée à Rimbaud ou Baudelaire, se jugeant simple saltimbanque, chanteur, avec toute l’importance que cela revêt, et le sérieux mis à l’accomplissement de son œuvre, mais jamais, ô grand jamais, il ne voulait être pris pour un poète. Bob Dylan prix Nobel de littérature est symptomatique de notre société où tout se nivelle, où l’art est mort, et seul le divertissement prévaut…

 

Ainsi ce livre amusant, certainement une commande, fruit d’une récente rencontre entre deux hommes, où en regard de chaque poème se trouve présentée la peinture qui l’a inspiré, ravira les profanes qui pourront se repaître d’une peinture figurative simple, imagée, sans réelle force, représentant quelques scènes glanées ici ou là, faute d’imagination significative puisque Peter Doig singe ce qu’il voit : quand ce ne sont pas les maîtres (Lion in the Road, 2015) avec sa perspective à la Bacon et ses deux bandes roses ou Hopper (House of Pictures, 2002), Rotko, Gauguin dont il s’inspire, il se perd dans des portraits colorés ou des paysages fades et tristes.    

En face de ces gribouillages quelques mots vites bâclés pour décrire ce que l’on voit (mais le regardeur est désormais si habitué à être assisté par son smart-phone que l’auteur se doit d’abonder dans son sens) noircissant les pages dans une mélopée sucrée et immature qui sent bon le politiquement correct et donne mal au cœur :

… puisses-tu les aimer et les protéger infiniment, tes filles, Peter (…)

Je sais pas, je sais pas, je sais pas. Cet arbre ou moi, qui va tomber, p’têt tous les deux. Pas un arbre… de toute façon c’est un lampadaire. (…)

C’est le contraire même de l’histoire, son origine. Le mythe de la découverte, les temps calendaires s’ouvrent par une barque de pêcheurs, une voile grossière et quelques hommes pour figurer la conquête. (…)

Le canoë semble paralysé par l’immensité de l’eau qui l’entoure. L’homme dans le canoë, barbu, émacié, a l’air épuisé de fuit son passé. (…)

Des pétales se détachent des branches du cèdre pour flotter, sur le silencieux kimono bleu du bassin, donnant les mêmes réponses à tous vents interrogateurs.

 

Je vous ai fait grâce des retours à la ligne car la poésie ce n’est pas aller à la ligne au petit bonheur pour faire croire au lecteur qu’il lit des vers, mais c’est plutôt regarder dans les angles morts, scruter les abysses, porter le fer dans la plaie, balayer les idées reçues… donc on laissera de côté ce produit marketing de belle facture mais totalement inintéressant et on lira Shelley !

 

François Xavier

 

Derek Walcott & Peter Doig, Paramin, 51 illustrations quadri, 196 x 255, couverture dure en tissu sous jaquette, Actes Sud, octobre 2016, 128 p. – 32

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