Arbor : Antoine Herscher en poète des arbres

Antoine Herscher est un poète muet, il ne transmet son émotion, sa rêverie que par le prisme d’un axe, d’un angle de prise de vue, d’une luminosité adéquate pour que la magie de ce qu’il perçoit se cristallise sur le support et que nous puissions la voir, alors captive dans la majesté d’un cliché noir et blanc.
Avec son œil, Herscher nous conte une histoire, nous ouvre des pans entiers de possibles : grand écart entre la mythologie, les dessins animés de Walt Disney ou les films fantastiques à gros budgets ; mais ici point de trucages, tout est naturel. Diantre, il faut être sot pour croire que l’on peut inventer quelque chose qui n’a pas déjà été tant Dame Nature possède de l’avance sur nous, depuis tous ces siècles, millénaires, passés à sculpter le vent, la terre, la roche… et donc aussi, les arbres.

 

Voici magistralement déclinés différents acteurs dans leur premier rôle, parfois en solitaire, souvent accompagnés de pairs tout aussi enclins à se jouer des conventions, histoire de faire sourire le promeneur ou rêver le photographe. Lequel, comme tout artiste, soigne sa composition, baigne le regardeur dans un halo de brouillard, invite le surnaturel pour mieux souligner l’invraisemblance de cette réalité biologique.

En tournant les pages nous sommes transportés dans un ailleurs, un monde d’à-côté, mais sans sorcières ni talismans, rien que la beauté naturelle du monde quand l’homme est absent. Les ombres sont furtives, les branches dansent l’immobilité du temps ; les buissons se déguisent.

Vues des Anges, les cimes des arbres peut-être
sont des racines, buvant les cieux ;
et dans le sol, les profondes racines d’un hêtre
leur semblent des faîtes silencieux.


Rainer Maria Rilke

 

Quelle étrange inquiétude vient se glisser dans ce familier que l’on ne sait pas regarder, que l’on ne voit même plus, courbé sur nos écrans mobiles ? Celle de l’arbre, compagnon de toujours, ici personnage à part entière d’un livre à lui consacré ; l’arbre aux innombrables branches, ramifications aux doubles signatures dont nous avons, parfois, détourné le dessein.
Source intarissable de plaisirs pour l’esprit, matériau brut et indispensable au confort de l’homme en devenir, puis rareté d’un produit fini et coûteux ; mais avant tout, l’arbre vivant, fier, noble et altier, en sa forêt, océan de verdure indompté, arbres en statues comme autant d’images, mouvements interrompus d’un monde onirique trop vite oublié que nos mémoires endormies d’enfants n’auront aucune peine à ressortir de derrière la cloison digitale qui s’est invitée.

D’un coup de balai définitif ce livre ravivera les picotements de nos imaginations jadis si fertiles dans la quête de formes et de monstres cachés dans ces entrelacs de branches, fouillis végétal où palpite une vie onirique qui nous accompagnait dans nos nuits solitaires quand les parents découvraient le fléau du petit écran noir et blanc émettant un son nasillard et des images saccadées…

 

Dans ce monde de l’immédiateté où tout doit être terminé avant même d’avoir débuté, vitesse folle qui déchire les âmes tout autant que les corps, dans ce monde numérique, froid et vide, ce livre extraordinaire remet les compteurs à zéro et relance le balancier du temps, celui, lent et structuré, d’une nature à quatre saisons, des fruits juteux et des légumes goûteux ; des légendes et des espoirs dans un devenir harmonieux et respectueux de ce qui nous entoure.

 

 

François Xavier

 

Antoine Herscher, Arbor, préface de Jean-Paul Cumier, 60 photographies en noir & blanc, 210 x 190, relié, Actes sud, novembre 2016, 96 p. – 25,00 euros

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