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Lee Jin Woo, peindre à l'écart du monde

Lee Jin Woo se tient à l’écart du monde de l’art contemporain. C’est un artiste physique qui lie la philosophie du geste à la spiritualité de l’image, il perpétue ainsi l’acte de répétition si caractéristique du Dansaekhwa coréen (courant d’art abstrait apparu en 1970 proche du monochrome), posant à sa manière la question de l’essence de l’existence à l’homme moderne désormais si pressé, vivant dans une société (trop) civilisée et (trop) dépendante des machines, laissant l’automatisation gouverner son destin.
Woo redonne donc du sens au corps… propulsant le regardeur d’une expérience visuelle – qu’il croit vivre – à une expérience métaphysique – qu’il finit par ressentir au plus profond de son Moi.

Son œuvre participe, du début à la fin, d’un travail acharné de ses mains et de son corps : il réduit au tamis du charbon de bois, le métamorphosant en une sorte de pigment qu’il enduit par la suite sur un tissu de lin, préalablement étalé sur le sol ; le recouvre d’un papier hanji et le frotte avec une brosse métallique. Puis il se saisit d’un pinceau avec lequel il le martyrise, frappant encore et encore… Trois mois de dur labeur pour qu’une toile naisse de ce traitement pour le moins viril.

Ses tableaux offrent une surface tactile, dure, rugueuse qui déclenche un sentiment d’apaisement, un silence intérieur qui s’épanche, un baume pour l’âme.
D’ailleurs, en 2014, au Palais de Tokyo, l’exposition se nommait Inside et proposait un parcours où la poétique de la grâce violente accompagnait le visiteur pour le conduire vers un retournement sur lui-même ; avec possible transformation. L’art devient alors l’occasion d’une réorientation vers l’intime, d’une possible modification de l’existence…

L’art ne peut pas être traité en théorie, pas plus que le vent, l’eau et le soleil. L’art n’est pas une vision mais une conversation.

Une approche personnelle, loin, si loin des techniques apprises à l’École des beaux-arts de Paris à la fin des années 1988-1993 qu’il délaissa, nouvelle preuve que ce système est devenu hors-champ et totalement déconnecté de l’art pour ne suivre que la mode imposée par le marché…
Lee Jin Woo utilise des fleurs, pour les couleurs et leurs parfums, uniquement sur du papier coréen, construisant le silence au cœur du vacarme de nos cités. Sa (dé)marche lente projette sur l’écran végétal de ses tableaux une variété de sentiments. Les arbres poussent sur la toile, lentement – douze heures de travail par jour –, des forêts entières se retrouvent enterrées entre les nombreuses couches de papier, déchirées, brûlées, effacées jusqu’à être imprégnées dans le fond. La surface devient alors impénétrable mais demeure toujours transparente : c’est ici que la magie opère, fruit de sa marche mentale.


L’artiste se dédouble-t-il quand il peint ? Actionne-t-il d’autres mécanismes que sa seule imagination ?
Une fois face à ma peinture, je deviens un bras qui peint. Ma main étant le prolongement de mon cerveau, je ne pense plus. Mon travail est intuitif.
Lee Jin Woo agit par intuition, dans le même esprit que ce qu’il a ressenti devant les Nymphéas de Monet, à Orsay, se mettant à pleurer sans raison. Il comprit alors que l’esprit, face à la beauté artistique, se libère ; et il étudia comment, lui, pouvait donner de l’émotion.
Travaillant dans la solitude d’une usine désaffectée proche du château de Vincennes, dans un atelier fort sombre aux murs rêches, jour après jour, encore et encore, les mains dans le charbon noir qu’il broie quand, dehors, le soleil brille, le potager rayonne de mille plants sagement alignés… Le contraste est frappant, flagrant : friche versus jardin zen mais, somme toute, logique car il participe de la démarche, se mettre dans un état d’esprit de sérénité pour parvenir à créer dans les meilleurs conditions.

Action et contemplation, douceur et violence, ces contradictions orientales ouvrent le chemin spirituel qui conduit à l’art authentique qui ne peut se faire l’économie de l’épreuve du réel.
Mystique du XXIe siècle, Lee Jin Woo nous ouvre l’espace et suspend le temps pour que nous puissions nous y abandonner, vivre notre liberté d’être, ne serait-ce qu’une poignée de minutes, dans la plénitude du plaisir pur.

François Xavier

Helena Staub (sous la direction de), Lee Jin Woo, 120 illustrations quadri, 240 x 300, bilingue Français-Anglais, Actes Sud, octobre 2016, 224 p. – 39 €

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