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Le peuple de bois d'Emanuele Trevi : Goooooooood moooorrrning Calabre !!!

La Calabre aussi, tout comme Félicie, a perdu le Nord, tout comme notre pauvre Europe en passe d’être définitivement démembrée de son ADN, de son âme propre, de ses cultures et de ses peuples qui font des nations, des identités, des valeurs, tout cela balayé par monsieur Macron (et ses amis) qui prêchent pour une Europe qui va dilluer les êtres dans le chaudron du libéralisme afin de mieux contrôler les masses. Ainsi, pour que les Hommes marchent tous d’un même pas, on modifie les livres d’histoire, on supprime les cours de philosophie dans les matières scientifiques, on oriente dès la troisième (bientôt dès le CM2 ?) les candidats dans une filière X ou Y, et on axe le désir sur le matérialisme uniquement (et dire qu’ils osent combattre Marx – sic) ; exit donc toute idée spirituelle, toute notion de beauté (voir dans quel état est l’art contemporain), tout concept d’amour pour le remplacer par la tolérance… quitte à devoir supporter les prières de rue et autres inepties...

Mais en Calabre un grain de sel pimente la soupe : un prêtre va oser parler, lui le défroqué par amour – le Rat –, par passion pour le corps voluptueux de Rosa, les formes de Rosa, la simplicité de Rosa qui passe ses journées et ses nuits devant la télévision mais dont il ne peut se passer, Rosa sa moitié manquante, sa complémentarité, Rosa son amour, oui, et après ? un intellectuel qui s’amourache d’une simple fille de ferme, dans un petit village, cela fait toujours jaser… Lui dans les livres et ses pensées (quand il ne fait pas le chauffeur-livreur désormais), elle devant les séries niaises. L’amour ne s’explique pas !

Or, par un beau matin, le Rat s’ouvre d’un projet à son ami d’enfance, le Délinquant, neveu des maffieux locaux qui viennent de racheter une station de radio. Et s’il pouvait avoir une heure ou deux d’antenne par semaine, les sermons lui manquent, et il a encore quelques petites choses à dire…

Les chansons, de l’avis du Rat, étaient l’outil de soumission et d’obscurantisme spirituel le plus puissant du monde. Si tu avais la maîtrise des chansons, tu n’avais pas besoin de la bombe atomique. Un océan de fausseté, de besoins et d’urgences factices qui s’introduisait dans les oreilles, engendrant l’illusion, chez les abrutis qui les écoutaient, qu’à l’intérieur d’eux-mêmes existait effectivement quelque chose de similaire, au lieu du néant en lequel consiste le cœur humain.

Vive la Calabre, vive Pinocchio le Calabrais, le fils du menuisier… à la manière d’un Robin Williams qui révolutionna la Radio des forces armées au Vietnam, dans le célèbre film de Barry Levinson (basé sur la véritable expérience de l’animateur Adrian Cronauer), le Rat bouscule les conventions et finira donc par semer un tel vent de révolte que le Pouvoir sera forcé d’intervenir…
Car même par l’entremise d’une fable, cette morale que le Rat distille, non une morale qui rabaisse mais une incitation à ce que les Hommes ouvrent les yeux vers les beautés du monde et se détachent des chaînes du matérialisme, ne plaira pas du tout aux maîtres du monde.

Comment est-il possible de faire, de quelque chose d’instantané, le sentiment le plus durable, la substance même des jours qui passent ?

Au fil des semaines les prêches du Rat vont enflammer les Calabrais, peuple souvent décrié par les Italiens du nord et le gouvernement, ils se reconnaîtront dans cette allégorie : oui, ils sont le peuple de bois, livrés à eux-mêmes car libre d’assumer jouir de cette force sauvage du bois face à la chair soumise à la domesticité ! Ni Dieu ni Maître, libre le Calabrais de vivre pleinement sans héros, sans saints, sans savants, et s’il est parfois désenchanté et se sait condamner à remonter le fleuve de l’irréparable, saumon des terres arides, il n’en démord pas et fait de son obstination une vertu.

Emanuele Trevi marche sur les pas de Pasolini en nous livrant ce roman piquant qui remet en lumière l’aspiration des Hommes à plus d’espoir et de plaisir, à communier avec la nature plutôt que le dernier iPhone. Critique sans appel de nos institutions qui n’ont de cesse de niveler par le bas la société (de l’école aux médias), ce récit ironique et désespéré portée par une langue qui déploie des trésors d’images frappe fort ; tout en laissant filtrer sous la porte close des enfers ce petit rayon de soleil qui incite à continuer à résister et à œuvrer autrement. 

Si nous savons que les histoires d’amour finissent mal, en général – les Rita Mitsouko nous l’ont rappelé par le passé – cela ne nous empêche pas de remettre chaque jour notre vie en jeu…

François Xavier

Emanuele Trevi, Le peuple de bois, traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli, Actes Sud, septembre 2017, 288 p. – 22,00 €

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