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Qui sera le Minotaure du labyrinthe des esprits de Zafón ?

Quatrième volet du cycle du Cimetière des livres oubliés, mais tout aussi diabolique et indépendant que les précédents, ce pavé possède la légèreté d’une plume d’oie – signature du maître espagnol qui sait manier l’intrigue, prolonger le suspens tout en irradiant d’ironie et d’érudition. Cocktail adrénaline et poésie au cœur du régime franquiste : Alicia Gris survit aux sinistres bombardements de Barcelone, en mars 1938 qui fit plus de mille victimes civiles. Orpheline, handicapée à la hanche, elle est toutefois repérée par le directeur de l’un des services secrets de la police politique, autant dire qu’elle rentre dans le monde de l’ombre. Ce qui lui va bien d’ailleurs, puisque sa beauté sculpturale la place hors champ, comme la petite fille de Dracula, diaphane, maigre, envoûtante et effrayante à la fois…

Portée par un désir de se perdre que la douleur tance à longueur de temps – et n’ayant pas les prédispositions du docteur House sauf en matière de dépendance aux narcotiques et du devoir d’aller jusqu’au bout à n’importe quel prix – Alicia fait ce qu’on lui a appris, sans état d’âme, enquêtant sur les dossiers les plus délicats, supprimant les indésirables…
Oui, plus Léon que House, indubitablement.

Voulant s’affranchir – comme si la candeur d’une telle démarche ne lui sautait pas aux yeux – la belle Alicia accepte la mission de trop : rechercher le ministre Valls qui a disparu avec son garde du corps. Viendront alors se greffer dans un tourbillon hitchcockien, une famille de libraire, détenteur d’un savoir crépusculaire ; un adjoint bourru au cœur tendre qui n’a pas les deux pieds dans le même sabot ; un conseiller littéraire totalement décalé, Fermin, qui parle par métaphore et qui en sait beaucoup plus qu’il ne le dit (un mélange de Pepe Carvalho, le personnage créé par l'écrivain catalan Manuel Vázquez Montalbán et qui berça mon adolescence, un détective privé et fin gourmet qui... brûle un bon livre à chaque repas ; et de Richard Lukastik, l'anti-héros viennois inventé par Heinrich Steinfest, qui conduit ses enquêtes selon le hasard, en ouvrant le Tractatus comme il vient) ; des agents doubles voire triples ; des banquiers véreux ; des ministres courtisans ; des désirs d’ailleurs, de faux écrivains et de vraies crapules, des parents indignes et d’autres sublimes ; des petites gens qui sont bien plus grands que tous les ministres réunis ; bref une farandole démoniaque qui vous entraîne hors du temps.

Pour commencer, Fernandito, évitez de laisser les autres écrire vos dialogues. Utilisez la tête que Dieu a posée sur vos cervicales et rédigez vous-même le livret. Le monde est plein de charlatans avides de remplir le cerveau de l'homme respectable d'âneries qui leur conviennent pour rester assis sur le baudet, la carotte à portée de main. Vous comprenez ?
 

Une lecture coup de fusil qui dura trois jours pleins, renversante impression d’immersion totale dans cette Barcelone immortelle aux sept vies. Carlos Riz Zafón réussit ce qu'avait, avant lui, fait Philippe Djian dans la série Doggy bag, rendre totalement visible les scènes, jouant d'une écriture qui s'imprègne immédiatement dans la rétine: on lit et le film se déroule sous nos yeux.

François Xavier

Carlos Riz Zafón, Le labyrinthe des esprits, traduit de l’espagnol par Marie Vila Casas, Actes Sud, mai 2018, 848 p. –, 27 €

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