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En janvier 2019 : réhabiliter Marthe Gautier

Tout comme Françoise Mézières fut décriée et traînée dans la boue par la gente masculine qui se refusait à reconnaître ses travaux et son approche révolutionnaire du traitement du mal de dos – et Dieu sait qu’elle avait raison et combien sa méthode a sauvé des milliers de gens –, Marthe Gautier fut dépossédée de sa découverte scientifique pour isoler le syndrome de Down, plus généralement nommé Trisomie 21 (en réalité, la paire de chromosome défaillante est la 22, vous découvrirez dans le roman où le bât se blessa) et aujourd’hui encore, entre menaces et débarquement d’huissiers dans les congrès internationaux, la Fondation Lejeune terrorise toujours le milieu médical, même si certaines déclarations – notamment le comité d’éthique de l’Inserm en septembre 2014 : La part de Jérôme Lejeune dans la découverte du chromosome surnuméraire a peu de chance d’avoir été prépondérante – ou des distinctions – officier de la Légion d’Honneur – tendent à essayer de rétablir la vérité et de réhabiliter Marthe Gautier, son rôle n’a toujours pas été reconnu comme il se doit !
Et janvier 2019 marque le soixantième anniversaire de la découverte du fameux chromosome surnuméraire, il est donc grand temps de remettre les pendules à l’heure…

Rien ne prédisposait cette fille de paysans à devenir l’un des plus grands médecins du XXe siècle, découvrant au nez et à la barbe des Anglo-Saxons, cette anomalie génétique avec l’aide… d’un coq de basse-cour qui lui fournissait le plasma indispensable pour immobiliser les fragments sur les lamelles de verre : ce qu’elle appela son coup d’État du petit peuple de la basse-cour. Il faut reconnaître que la communauté scientifique menait aussi une course contre la montre pour savoir qui sera le premier à découvrir l’origine du mongolisme.
Ce qui a facilité le vol par Jérôme Lejeune de la découverte de Marthe Gautier, osant recopier lors de visites impromptues, et sans le moindre scrupule, son carnet d’analyses dans lequel elle notait tous les jours les résultats de ses cultures, pour aller ensuite clamer haut et fort lors d’un congrès international, avec l’aide du professeur Turpin qui lui proposa, en 1959, d'être le premier signataire de la publication princeps. Forcément, c’est un homme… Il sera par la suite nommé professeur en génétique (sans le moindre diplôme à l’appui), lui ouvrant une carrière et une renommée, lui permettant de recevoir des prix et autres distinctions qu’il n’a jamais partagés…

 

Pour rendre moins ardue la genèse de cette sordide histoire, Corinne Royer l’a encapsulée dans un roman dont une partie se passe à la Tour de mare, autour d’une chapelle peinte par Cocteau, à Fréjus. Elena, soprano, quitte fille et conjoint pour aller avorter d’un enfant dépisté comme trisomique. Mais elle ne revient pas après l’intervention, la douleur est trop forte… Quinze ans plus tard, sa fille va soutenir sa thèse sur… la trisomie 21 et se voit conseiller par son directeur d’aller visiter Marthe Gautier. Les deux femmes sympathisent et les souvenirs refluent : ceux de Louisa dont le visage et la voix de sa mère s’estompaient, ceux de Marthe qui refusera le déni et ouvrira ses archives pour qu’au moins une personne sache la vérité…

La Fondation Lejeune menace de procès tout contrevenant au dogme officiel qu’elle persiste à diffuser. Un congrès qui s’est tenu à Bordeaux devait donner la parole à Marthe Gautier et lui remettre une distinction honorifique pour ses travaux mais les organisateurs renoncèrent, les pleutres ! Le Monde du 1er février 2014 titrera son article La vieille dame et les huissiers de la Fondation Lejeune. Je les attends les huissiers, les avocats, les procès : Jérôme Lejeune fut un salaud malhonnête, un voleur, et j’en passe… Tant ces phallocrates sont à l’image du monde : Marthe Gautier ne fut pas la seule flouée (par exemple Rosalind Franklin dans la recherche ADN ou encore Dorothy Vaughan, Katherine Johnson, Mary Jackson et Christine Darden les mathématiciennes oubliées de la conquête spatiale), et si une femme fut enfin associée à un prix Nobel en 2008 (Françoise Barré-Sinoussi avec Luc Montagnier), il y a encore bien du chemin à parcourir…
On se demande ce que font les pouvoirs publiques à laisser ainsi cette fondation agir en toute impunité ; d’ailleurs sur son site on apprend qu’elle ose vendre un Master-Class Sciences et éthique, c’est quand même pas piqué des vers ! Depuis quand Jérôme Lejeune a-t-il été porté par l’éthique ?

Mais le pire du pire – comme quoi on peut toujours descendre plus bas – et après avoir découvert que la fondation, reconnue d’utilité publique (sic !) est pilotée par des intégristes religieux qui détournent le but avoué de son objectif en finançant des actions contre l’avortement ou en agissant pour bloquer les recherches sur l’embryon et les cellules souches (quel rapport avec la Trisomie 21 ?), il fut ouvert en 2004 une procédure de béatification du professeur Lejeune !
On en rirait si cela ne démontre pas, une fois encore, tout le cynisme et la folie des héritiers et autres fous de Dieu qui mélangent doctrine religieuse et science. Certains scientifiques se sont d’ailleurs publiquement élevés contre ce projet hallucinant, allant jusqu’à écrire au pape ou à publier un J’accuse dans Le Monde du 30 mars 2017 (140 médecins et scientifiques rappellent la controverse et les égarements de Lejeune). On attend toujours la réponse du Vatican qui, comme d'habitude, dès que quelque chose est trouble, préfère la politique de l'autruche...


Roman poignant qui se lit comme un thriller à double vantaux : la découverte des étapes de la quête de Marthe Gautier et les éléments à charge du vol de ses travaux ; la lente remontée des cendres de Louisa et de son père quand Elena refait surface dans leur vie et que le puzzle se recompose sur les lieux mêmes de leur première rencontre. Si certaines scènes sont prévisibles, la nature de la structure narrative offre de magnifiques plages de lecture avec une syntaxe rare aux mots choisis – chaleur halitueuse ; nitescence solaire – qui rappelle combien notre langue française est riche, de musiques et d’images, et qu’il faut, elle aussi, la réhabiliter à l’ère du SMS meurtrier…

François Xavier

Corinne Royer, Ce qui nous revient, Actes Sud, janvier 2019, 272 p. – 21 €

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