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Guelassimov : la bravoure par moins quarante

Boulgakov avait un chat particulièrement coquin, Carroll un bien drôle de lapin, Tchekhov une mouette rieuse et Gogol une ribambelle de personnages déjantés…  Andreï Guelassimov – retenez bien ce nom, car il y a d'autres trésors à découvrir en Babel – s’en amuse, gardant à l’esprit cette légèreté si particulière de l’âme slave pour nous dessiner une œuvre pétillante de mille feux dans la veine de ses pairs.
Ce sera donc… un chien qui sera le fil rouge de cette histoire foutraque qui se met en images par plans successifs sous la musique d’une langue riche et envoutante qui vous happe. Pris au piège, le lecteur comme les autres, par les pitreries de Filippov qui persiste à ne pas grandir – en apparence – et à jouer avec ses concitoyens de situations cocasses qu’il crée pour tuer le temps. Et oublier les affres de la vie quand on est privé de sens, que l’on a perdu son grand amour et que l’on persiste à boire jusqu’à en tomber dans les vapes.
S’inspirant du chaos qu’il entretient dans ses rapports humains, Filippov met en scène des pièces de théâtre, des opéras, il est très vite devenu une personne renommée. Sauf qu’il a parfois besoin d’un assistant pour dessiner certains story-boards, et ce dernier s’est retiré dans sa ville natale, sur une presqu’île prise par les glaces où moins quarante est la moyenne.

Ce qui devait n’être qu’un petit aller-retour en pays iakoute pour chercher des dessins, va devenir une aventure haletante dès lors que la ville va se retrouver privée de chauffage, déclenchant quelques troubles et précipitant les événements. Retrouvant d’anciennes connaissances, Filippov n’aura de cesse de fuir, soit en compagnie d’un chien, soit avec le démon du vide comme compagnon d'infortune, pour mettre la main aussi bien sur ces fameux dessins que de retrouver un jeune enfant disparu ; sauf que par moins quarante, on ne marche pas dans la ville impunément ; sinon vous vous mettez très rapidement à geler et entrez en état d’anabiose…

Filippov fit un pas sur la pointe des pieds, un autre, puis, tel l’insouciant Albrecht tentant d’échapper aux copines fantômes furibondes de Giselle, quitta au galop ce cimetière des espoirs transis. Ayant atteint à pas de biche l’angle droit du corridor, il s’adossa au mur. Son cœur battait à tout rompre contre le radiateur. Filippov exulta, et, triomphant, pénétra dans son couloir.

Poétique et bordélique, ironique et romantique, ce roman épique produit une mélodie qui danse sous la rétine dans l’accompagnement de la lecture, produisant des images, des sons, des émotions qui s’invitent dans l’après. On garde en soi cette ambiance, ce ton, cette mélopée de la même manière que Le maître et Marguerite reste gravé en nous jusqu’à la fin des temps… Voilà donc un livre à côté duquel il ne faut pas passer.

François Xavier

Andreï Guelassimov, Le Froid – Roman en trois actes avec entractes, traduit du russe par Polina Petrouchina, Actes Sud, octobre 2019, 336 p.-, 22,50 €

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