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Les "œuvres merveilleuses de la nature" de Léonard de Vinci

Les leçons de la nature ne s’effacent pas de la mémoire d’un enfant. Pour le jeune Léonard qui la découvre et l’observe auprès de Caterina, sa mère, dans les environs de Vinci, ce bourg "du contado de Florence, posé sur les premières pentes du Montalbano, entre Pistoia et Empoli", cette nature va tout lui enseigner, peu à peu, des remous de l’eau aux orages sur la vallée, des fleurs qui s’épanouissent aux oiseaux qui s’envolent. Des leçons qui lui ouvrent année après année les champs de la connaissance universelle qu’adulte, il ne pas cesser d’explorer. Pour lui, au centre de cette création infinie, il y a l’homme et son corps. Quels sont ses mystères, comment fonctionne-t-il, d’où viennent ses mouvements et ses émotions, que devient-il passé le seuil de la mort ?
Comme il progresse dans la maîtrise des drapés, de même avance-t-il dans le savoir des sciences des structures du corps humain. L’anatomie prend rang parmi ces autres domaines de prédilection, optique, hydrologie, botanique, balistique, astronomie, dont il pousse sans fin les recherches.

Le voici analysant les composants du corps, les scrutant dans leurs profondeurs, les disséquant, consignant avec la minutie de l’architecte et le talent du peintre la disposition des nerfs, des organes, des muscles, du squelette, des vaisseaux, l’ensemble de ce système vital qui progresse et s’amenuise de la naissance à la mort. Rien qui ne l’attire, rien qu’il ne laisse de côté. Il est devant l’idéal, en proportions, en réseaux, en ramifications, en complexité ! Autant de raisons de poursuivre, d’affiner, de noter, de dessiner. Comme son intelligence a le pouvoir de synthétiser et de comparer en quelques fulgurances, il note par exemple que pour une représentation de la langue et la phonation, en exécutant à la plume et encre sur traces de pierre noire vers 1508/1510 des petits croquis concernant les modulations et les articulations de la voix, "ceci est prouvé par mes précédentes démonstrations au sujet des tuyaux d’orgue…"
Ou encore, s’agissant de dessins à la plume et encre, lavis sur pierre noire, de 1510/1511 portant sur les os, muscles et tendons de la main, les deux auteurs écrivent que "ces magnifiques dessins comptent parmi les sommets de l’art de Léonard anatomiste. Ils montrent avec une parfaite clarté la structure mécanique de la main, non pas en la dénudant jusqu’à l’os, comme lors d’une dissection, mais en la reconstituant comme travaillerait un ingénieur".

Car voilà bien là le secret et la manifestation du génie de l’artiste, cette maîtrise de l’universalité des connaissances, la faculté rare de relier les parties entre elles pour en faire le tout, ce tout qu’il appréhende et célèbre dans cette sanguine de 1504/1506, montrant un homme nu vu de dos où "les ombres du corps sont indiquées avec beaucoup de subtilité..." quand "beauté artistique et exactitude anatomique s’équilibrent à la perfection".
Léonard de Vinci aborde, comprend, restitue avec une supériorité jamais égalée ce qu’il se propose d’étudier. Chaque page est un tableau en soi où la pensée du maître exprime à la fois la précision de ses examens cliniques, son admiration pour ces constitutions délicates, ses interrogations ou ses assurances, écrites à son habitude de droite à gauche.

A voir et détailler ces quelques cents feuilles réunies dans cet ouvrage et choisies avec soin parmi les 228 planches conservées, le lecteur ne peut qu’admirer la finesse des œuvres et saluer la logique du savant. Il faut savoir gré aux deux érudits, chacun apportant son expérience et sa manière d’approcher les travaux de Léonard de Vinci, l’un de directeur du département des peintures et dessins de la Royal Library de Windsor Castle, l’autre de professeur à l’University of Texas Health Center, de s’être penchés avec autant de passion sur ce trésor esthétique et scientifique pour nous le faire découvrir. On lit avec entrain leurs commentaires qui montrent que cette alliance de technique et d’élégance chez le grand artiste italien dépasse le lieu et le temps. 

Dominique Vergnon

Martin Clayton et Ron Philo, Léonard de Vinci Anatomiste, 148 illustrations, 200 x 250, Actes Sud, février 2019, 256 p.-, 39 euros

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