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Sois belle et travaille !

Dans un monde pas si lointain, où la reconnaissance faciale contrôle tous vos faits et gestes. Comme en Chine, aujourd’hui. Pôle emploi vous impose un passage par la case chirurgie plastique. Le visage pour débuter. Le corps pour finir. Vous n’avez rien à dire. Sinon on vous diminue de moitié vos indemnités. Hasna n’a donc pas d’autre choix. Mais le retour parmi les vivants – pardon, les esclaves – ne se fait pas sans douleur. Voilà qu’elle ne voit plus les visages de ses contemporains.
Elle ne perçoit que des poils, des cicatrices, des croutes… elle souffre d’un drôle de symptôme alors elle triche. Voilà qu’elle porte un voile pour ne pas se faire dévisager, elle aussi. 

Tu es corruption jusqu’au-dedans de toi-même, cela te ravit. Tu  jouis de la régence illégitime de tes organes tuméfiés sur ton pauvre regard. Tu as l’impression de ne faire qu’un avec la vie.
 

Mais les caméras ne l’entendent pas ainsi. On ne la reconnaît plus. Donc la police intervient. Passage dans un centre de réappropriation de soi. Respectez-vous, lui dit-on. Mais pour quoi ? Pour être efficace au travail. Toujours le travail.
Travaillez plus pour… gagner moins ? Voire le délicat sujet actuel de nos retraites

Tu ne perçois autour de toi qu’une masse joyeuse et frivole, parcourue de flux de sensualité, tu t’y abandonnes en flots postillonnants t’allurant vive, puis lentement, te rissolant, oblongue en paresse. Le désir consent à ta métamorphose. Il t’emporte en caresses loin de ce bar et loin de chez toi.

Espedite déjoue la langue pour mieux porter le regard sur les dérives de l’image auxquelles nous donnons notre aval. Avec ou sans le savoir, nous validons tous les jours les injonctions du marketing à être ceci ou cela en fonction des objets à vendre, des attitudes à avoir, des pensées à concevoir.
La liberté ne serait que beauté et jeunesse. Le pouvoir s’est emparé de nos corps et nos esprits ont abdiqué or … l’essentiel est ailleurs, dans ce qui ne se donne pas mais bruisse discrètement.

Annabelle Hautecontre

Espedite, Cosmétique du chaos, Actes Sud, février 2020, 112 p.-, 12 €

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