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Dénoncez, il en restera toujours quelque chose

Depuis la Seconde Guerre mondiale on a eu la confirmation que le sport favori des Français (avec les Suisses) est la délation. Grâce à l'émergence du monde numérique, il est désormais donné à tout le monde de pouvoir balancer son porc ou son voisin, son ex-copine ou son collègue de bureau sur les réseaux sociaux pour que les hyènes de la vertu et de la bêtise crasse puissent à satiété se régaler du festin de leurs victimes, assassinées médiatiquement, lynchées digitalement avec les effets rebonds que l'on connaît : suicides d'élèves au collège, démissions de politiciens, désamour de stars, etc. Quand tu ne sais pas quoi faire, dénonce et laisse faire la machine...

Partant de cette belle mentalité contemporaine qui rivalise de méchanceté et fait ressortir tout ce qu'il y a de vil en l'Homme, Ilan Duran Cohen, connu pour sa verve, son cynisme et sa plume trempée au venin de la chronique ethnologique et sociale, tout en insufflant un humour décapant à tous ses romans, nous offre une chronique mondaine du lavage de linge sale dans le conformisme poussé à son paroxysme.
Voilà que dans un dîner privé, un certain Alain C. ose dire qu'il ne supporte pas de travailler avec des femmes, des nanas, pour être précis. Il ne sait pas qu'il vient de signer son arrêt de mort... Un convive bien intentionné en fait aussitôt part sur Twitter et autres réseaux nauséabonds pour que l'intéressé soit aussitôt lynché. Il est licencié (on ne peut rester à la télévision en tenant de tels propos, même en privé). Et sa vie se délite jusqu'au drame final.

Cette satire puissante et particulièrement drôle nous offre un 1984 rigolard mais on rit jaune : il faut un permis pour prendre l'avion, on ne consomme plus de viande, une œuvre est jugée en fonction du casier judiciaire de l'artiste, la vie privée est contrôlée par un algorithme, les citoyens sont surveillés (comme en Chine ?) et Marseille est désormais territoire islamique autonome. Pour y avoir vécu nous avons déjà des quartiers autonomes, il suffit d'attendre un peu. Le roman se situe en 2030... il nous suffit d'être un peu patient, nous n'en sommes pas loin, surtout que la Covid-19 aide à resserrer la pince qui nous prive de libertés, soyez patients, et d'ici-là, n'oubliez pas de surveiller autour de vous et de dénoncer le premier qui ne porte pas de masque ou traverse en dehors des clous.

 

Rodolphe

 

Ilan Duran Cohen, Le petit polémiste, Actes Sud, août 2020, 304 p.- 20 €

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