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Beyrouth, plus phénix que jamais

Personne ne comprend rien au Moyen-Orient et plus particulièrement au Liban où se mélangent catholiques, sunnites, chiites, orthodoxes, protestants… alors voici un petit livre qui se lit d’une traite, qui permettra à tout un chacun de se faire à l’idée de ce qui se passe réellement au pays du cèdre ; et d’apprécier la verve et l’humour si particulier qui habitent les Libanais pour qui rien n’est inéluctable, et tout peut encore s’arranger et se finir dans les rires…

Quand paru Beyrouth, à cœur et à cris, en 2009, célébrant non seulement Beyrouth capitale mondiale du livre mais aussi éternel phénix renaissant après quinze ans de guerre civile et un été de bombardement israélien (2006), je pensais en avoir fini avec le sujet, et naïvement croyais qu’espoir serait le maître mot, étalon de cette résilience libanaise qui force respect et admiration tant ce peuple ne cède pas un iota au désespoir et à l’amertume quand les malheurs se succèdent en série. Car après les ravages matériels se sont les maffias politiques qui mirent le pays en faillite générale avant que le coup de grâce ne survienne le 4 août 2020.

Loin, si loin ce pays ensoleillé où l’on passait ses vacances d’été dans les montagnes brillantes, les courses à bicyclette, les pique-niques sous les noyers, l’eau froide de la source, les parties de Risk et les brouillards frais qui se lèvent progressivement l’après-midi… cette Suisse du Moyen-Orient qui s’enivra aux chants des sirènes financières et se brûla les ailes au soleil de sa certitude… Mosaïque de civilisations et de cultures – dix-huit communautés – emmaillotées dans un même drapeau pour mieux noyer le bébé avec l’eau du bain sous couvert de taux d’intérêts faramineux : les élites sont riches à milliards de dollars mais l’État ne fait que faillir à sa tâche. La corruption atteint des niveaux jamais atteint : marchés publics truqués, détournements de fonds... Or cela n’empêche en rien les Libanais d’entreprendre, de créer, de penser, de vivre dans cette insouciance extraordinaire qui est le revers de la médaille de leur courage exemplaire. Ma femme allait danser six mètres sous terre pendant la guerre et parfois ne reconnaissait plus le quartier au petit matin tant les bombardements avaient été violents. La guerre faisait rage mais personne ne baissait la tête et le pays continuait à fonctionner… Sans doute en aurait-il été autrement si tout s’était arrêté, la guerre civile n’aurait pas duré quinze ans… Il est facile de refaire l’histoire, mais force est de constater que les Libanais paient toujours au plus fort leur engagement, leur nationalisme, leur amour du pays.

En cette année 2020 encore plus que jamais. Alors que l’explosion du 4 août ravagea plus de la moitié de la ville et qu’une fois encore l’État est absent, c’est la société civile, seule, démunie mais opiniâtre, résolue à ne pas céder un pouce, combattive, qui remonta ses manches et releva les blessés, balaya les gravats… quand l’armée se contentait de servir quelques repas… Les manifestants le criaient haut et fort : Nous sommes d’ici, nous resterons ici, et on ira danser sur vos tombes ! Aucun homme politique n’osa se montrer, les rares furent chassés…

Mais comme la maffia en place ne veut toujours pas céder, exit les aides internationales, le pays sombre chaque jour un peu plus. Et la version officielle prend l’eau. Charif Majdalani a enquêté : il semble désormais évident que les 2750 tonnes de nitrate d’ammonium auraient fait beaucoup plus de dégâts, donc s’il y en avait moins, à qui cela a-t-il profité ? Quand on sait que le port était sous contrôle du Hezbollah, que cet engrais est utile à la fabrication de bombes, etc. Quand on sait que l’armateur abandonna le navire et sa cargaison, que le bateau coula à quai, que le Mozambique passa une autre commande comme si de rien n’était ; on se dit alors que Beyrouth n’était pas une escale technique mais bien la destination finale d’une commande passée par le Hezbollah…
Il est des écuries d’Augias à récurer du sol au plafond en terre levantine.

 

François Xavier

 

Charif Majdalani, Beyrouth 2020 – Journal d’un effondrement, Actes Sud/L’Orient des livres, octobre 2020, 160 p.-, 16,80 €

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