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Pleine terre... ou l’étoffe de nos héros

Voilà un an, tous les soirs à vingt heures, une salve d’applaudissements saluait les soignants pour leur engagement sans faille dans la pandémie, une initiative qui est à l’image du pays : cristalliser l’attention un temps donné sur un seul sujet, puis passer à autre chose… Or, s’il est une catégorie professionnelle qu’il conviendrait de remercier tous les jours – et pas seulement le soir – elle est oubliée depuis longtemps, car avoir de quoi manger est devenu une habitude naturelle comme de respirer et personne ne se préoccupe plus de qui de quoi.
Ainsi le monde paysan agonise-t-il en toute indifférence, nous mangeons de la merde – plus de 7 millions de Français obèses mais tout le monde s’en fiche, sauf la Covid-19 qui se régale sur ces cellules humaines déteriorées par les pesticides et autres antibiotiques – et détruisons la nature même de la terre agricole, mais qu’importe puisque les groupes côtés en bourse se portent bien, eux. 

Tout commence par un fait divers révoltant : l’affaire de l’assassinat de Jérôme Laronze par un gendarme qui lui tire deux balles dans le dos ; oui, un assassinat, voire un double assassinat puisque l’Administration a fomenté toute l’intrigue pour conduire à cette bavure dont on ne sait pas encore si elle fut commanditée, ou pas. Mais le résultat est le même : un paysan abattu parce qu’il ne suivait pas la règle de la production outrancière, refusait le dictat d’une administration tatillonne, et ne cédait pas aux caprices du syndicat majoritaire pour qui, désormais, le paysan n’est plus là pour nourrir le peuple mais faire du profit ; enfin, pas lui, pour faire faire du profit aux grands groupes agro-alimentaires.
Après Big Pharma, voilà donc Big Food : gazage des cochons, ferme des mille vaches, broyage des poussins dans des mixeurs, veaux anémiés, Nestlé qui importe pour sa purée bio fabriquée dans la Somme des pommes de terres d’Allemagne sans se soucier de l’empreinte carbone, etc. Le tout dans un silence assourdissant ; il est vrai qu'il y a plus important : les influenceurs, les selfies, l'Eurovision, les JO...

Est-ce vraiment cela que vous souhaitez pour nos paysans ? Ou préféreriez-vous un retour vers plus de bon sens (souvenez-vous de la publicité pour le Crédit agricole dans les années 1990 : Le bon sens près de chez vous – disparu de toutes nos tablettes désormais), une manière naturelle de gérer la paysannerie par un retour aux sources : l’observation, la tradition, l’écoute et non une marche forcée vers une modernité absurde et meurtrière. Pourquoi vouloir anéantir les connaissances de tant de générations de paysans ? Ce n’est pas l’IA qui peut conduire une ferme ! 

Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des imposteurs, des voleurs et des traîtres n’est pas victime, il est complice !
G. Orwell 

Retirée – comme votre serviteur – dans les champs, Corinne Royer s’est emparée de cette histoire pour construire un roman décapant, poignant, fascinant et glaçant. Une écriture enlevée, vive et érudite qui nous plonge dans ce monde agricole si particulier où les 39 heures n'existent pas, comme les week-ends, puisque les vaches ne se traient pas toutes seules, et que les robots le font mais mal. L'amour de la terre, l'amour de ses bêtes, des sentiments nobles que les bureaucrates ne comprennent pas car ils ne les connaissent pas. Seule la bonne case à cocher compte, pas l'histoire de la ferme et encore moins celle du paysan qui n'est qu'une variable d'ajustement. Sauf que parfois l'homme est plus têtu qu'une mule, qu'il sait qu'il est dans le vrai et refuse de plier au diktat. S'enclenche alors une machine infernale qui débouche sur un clash...
Neuf jours de traque qui seront plutôt neuf jours d’exil volontaire dans la forêt pour celui qui refuse de se soumettre à l’absurdité d’un système. La soumission, évoquée par Houllebecq, n’est plus désormais que dans le rapport à l’Autre, elle s’est aussi insinuée dans tous les gestes et le woke est en train de parachever la destruction massive de nos cultures européennes. Ainsi l’ambition personnelle a tout vampirisé et l’envie a supplanté le désir de bien faire, la fierté du travail accompli. On sue à l’usine ou dans un bureau dans l’unique optique d’une véranda ou d’une berline métallisée, on se pavane devant ses écrans en se persuadant que l’on joue un rôle crucial dans la marche du monde ; alors que tous ne sont que des esclaves du système. 

Jacques Bonhomme n’est pas de cette race, il n’est pas prêt à payer ni le prix de la soumission ni celui de l’arrogance. Ce qu’il obtenait, c’est la terre qui consentait à le lui donner, et seul le prix qu’elle réclamait lui convenait, celui de la sueur et de la patience chevillée au corps. 
La dignité des paysans ne s’achète pas car la Nature ne triche pas. Quant à la production agricole, elle nourrit davantage les sarcomes qu’elle ne remplit les ventres, d’où notre immunité déficiente et la propagation de nouveaux virus telle que cette Covid-19 qui n’aurait pas fait autant de ravage il y a cinquante ans quand notre système endocrinien n’avait pas été affaibli par toutes les saloperies que déversent Monsanto, BASF et Cie dans notre assiette…  
Les traitements chimiques, la surexploitation et les monocultures de masse ont appauvri les sols. Notre pays est le premier consommateur d’herbicides, de fongicides et d’insecticides en Europe, et le troisième dans le monde. Nos politiques parlent haut mais se couchent en coulisses, il n’y a qu’à voir le dernier exemple en date sur les néonicotinoïdes et la marche arrière du gouvernement. 

Jacques Bonhomme est un paysan solitaire qui lit, le voilà donc enclin à argumenter face aux contrôleurs – au lieu de se soumettre – et de s’attirer les foudres de l’administration ; heureusement les livres sont aussi ces pages avec des mots qui sautillaient dedans, c’était sa façon à lui de faire danser la vie. Sans les mots, sans l'art, notre vie serait littéralement un enfer dès lors que l'on décrypte un tant soit peu ce qui se passe, et l'impuissance à combattre ce délitement généralisé...
Petit-fils de paysans, je ne peux que souscrire à la révolte qui a dû emporter Corinne Royer pour la porter à écrire cet exceptionnel roman qui est tout à la fois un témoignage et une tribune à sauver le soldat paysan pendant qu’il est encore temps. 
Alors résister, oui, toujours et quelle que soit la cause à combattre pour que seule la Nature conserve ses droits, car il n’y a qu’à la beauté du monde à laquelle succomber… 
Et comme disent nos amis bretons, An douar so kozh med n’eo ket sod – La terre est vieille mais elle n’est pas folle. 

François Xavier

Corinne Royer, Pleine terre, coll. Domaine français, Actes Sud, août 2021, 334 p.-, 21 €

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