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L’histoire de l’écrit

À la fois fortuites et mûries, de rares et puissantes convergences donnent un essor sans précédent à l’intelligence de l’humanité. Elles concentrent à une période donnée le privilège de faire faire à la pensée universelle un de ses immenses bonds qui se révèlent salvateurs. Ainsi de l’imprimerie, le divin art selon Nicolas de Cues.
Des hommes éclairés et audacieux, des lieux qui deviennent fondateurs, des techniques qui croisent leurs moyens, une attente sociale générale pour un accès à davantage d’instruction, voilà que de nouvelle formes de se cultiver et d’échanger sont soudain présentes, disponibles et se répandent progressivement partout.
Elles interviennent magistralement parce que savoirs, pouvoirs, religions, métiers, arts œuvrent ensemble. Quelques villes sur les bords du Rhin, Venise, Paris,  deux ou trois cités dans des provinces chinoises, conjuguèrent ces atouts. Le livre imprimé, lointain descendant du volumen et héritier du codex en usage à Rome vers 80-85 après J.-C  est le fruit de ces rencontres et demeure le témoignage impérissable de leurs succès.

 

Se déroulant sur près de quinze siècles, divisée en trois chapitres, relatée par trois éminents spécialistes, l’histoire de cet objet planétaire qu’est le livre se lit à la manière d’une épopée au sens propre, c’est-à-dire comme un long poème à la fois héroïque dans ses actions, collectif dans ses conséquences, mêlant souverains, dignitaires, philosophes, mathématiciens, bibliophiles, contrefacteurs, convoquant sans cesse la perspicacité, l’inventivité, l’économie, la géographie, les institutions, les universités, les talents. Désormais et pour longtemps, le liber serait présent aussi bien dans le studiolo de l’érudit que sur l’étagère de l’étudiant.

Comme il fallait que les thèses, les fables, les principes et les découvertes d’Aristote, d’Avicenne, d’Euclide, de Galien, d’Hippocrate, d’Ovide, de Pline soient diffusés comme il convient au plus grand nombre de lecteurs possibles et que les besoins exprimés, qu’ils soient spirituels, académiques, scientifiques, politiques, esthétiques étaient croissants, la typographie fit des progrès spectaculaires.
Le premier atelier typographique français est ouvert début 1470 par le savoyard Guillaume Fichet, né en 1433, avec son ami d’origine allemande Jean Heylin. La copie à la main ne répondant plus aux exigences relevait désormais du passé. Le papier, le caractère, l’encre, la presse, le cuir des reliures s’unirent. Les expériences s’additionnèrent.
L’outil premier de l’humanisme au service de la lecture devenait plus encore que jamais l’aliment de l’esprit comme le voulait Sénèque. Au long de ces premiers siècles, des chefs de la dynastie Jin Jurchen à Maître Eckhart, venus d’horizons divers, riches de compétences complémentaires, imprimeurs, éditeurs, professeurs, érudits, défenseurs des langues font converger leurs volontés. Gutenberg naturellement, mais aussi et tout autant Diebold Lauber, Johann Fust, Alde Manuce, Vindelinus de Spire, Guillaume Budé, Christophe Plantin, Geoffroy Tory, Marcilin Ficin  et tant d’autres noms comme autant de repères figurant dans ces pages sortent de l’oubli et s’imposent en tant que marqueurs de cet archipel fragile à l’arborescence si complexe qu’est un livre selon les mots d’Olivier Deloignon dans l’introduction  de cette superbe et brillante somme.

 

Une nouvelle étape s’ouvre vers 1560. L’Europe des livres cherche son équilibre entre le sud méditerranéen et le nord germanique, s’appuie sur les foires et constitue ses réseaux. Libraires, imprimeurs, hommes politiques, dessinateurs, auteurs, fondeurs, graveurs participent à cette expansion protéiforme.
De nouveaux noms interviennent qui donnent au livre son âge de raison, Gabriele Giolito, Sébastien Nivelle, Séguier, Grégoire Huret, Théophraste Renaudot, Marmontel, François-Ambroise Didot, Beaumarchais, Charles-Joseph Panckoucke. Les écrits jansénistes et la littérature contre les bonnes mœurs s’appliquent à déjouer la censure et les mises à l’index qui veillent. De son côté, genre éditorial inconnu jusqu’alors, la gazette dont le rôle notamment au plan politique sera déterminant, associe actualité et ubiquité.
Les bibliothèques se constituent, en témoignent les bibliothèques bleues.

Dernière évolution dans cette révolution, l’arrivée en masse des livres standardisés, des traités, des romans, des poches, de la bande dessinée à grand tirage, des albums pour enfants, des clubs d’amateurs d’ouvrages rares. Une constellation de noms illuminent ce qui s’apparenterait à un empyrée tant on est ici sous les auspices de nouveaux dieux et les délices du monde de l’imagination, Buffon, Alfred Mame, André Gill, Larousse, Hetzel, Poulet-Malassis, Allen Lane. Tour à tour entrent en scène des noms qui deviennent célèbrent, tels les Penguin Books et La Pléiade. Plus que jamais la lecture est devenue une amitié pour reprendre les mots de Proust.  

Compagnon toujours à portée de main, étant tour à tour un vecteur de la création et une fenêtre ouverte sur le monde des idées, arme par les mots, collectionné avec passion, protégé avec soin, emprunté, dérobé, crayonné, pilonné, brûlé, on mesure combien le livre est autant un symbole que le reflet direct des paysages intérieurs de chacun.
Des anecdotes, des faits d’existence, des événements inédits et les illustrations, le plus souvent rares et superbes, appuient la compréhension de cette longue aventure et en relancent en permanence l’intérêt, confirmant qu’en dépit de ses performances infinies et de son rôle nécessaire, le numérique, certes seconde et magnifique convergence pour l’humanité, n’éclipsera jamais, il faut l’espérer, le livre, cette lumière de la civilisation.

Dominique Vergnon

Sous la direction d’Olivier Deloignon, D’encre et de papier, une histoire du livre imprimé, 327 illustrations, 220 x 275 mm, Actes Sud-Imprimerie nationale éditions, octobre 2021, 404 p.-, 89 €

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