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Recycler les criminels de guerre

Il n’y a pas que la CIA qui fit son marché chez les nazis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les soviétiques urent la même idée. Ce qui conduisit l’historien Ulrich Effenhauser à écrire son premier roman. Un polar bien noir. Sur fond de guerre froide finissante. Une intrigue qui s’étire de 1978 à nos jours, avec quelques plongées en eaux profondes durant le conflit.
Si les choses se sont policées, il n’en demeure pas moins que le chaos persiste : il est impossible d’y mettre de l’ordre, il faut l’accepter. L’inspecteur (puis promu commissaire) Heller n’éprouve plus de dégoût. Plus de pitié. Les crimes sont des numéros, au mieux des énigmes, il est intéressant de les résoudre, c’est tout.
Le voilà donc sur les traces de son supérieur froidement abattu derrière le rideau de fer, en Tchécoslovaquie. Une enquête off qui dépeint toute la complexité de cette région, un jour allemande, un jour tchèque, un jour soviétique. Des Sudètes à l’empire de Staline, les peuples furent fracassés contre les idéologies qui s’affrontaient avec de la chair humaine en guise d’arguments.
Il n’y a plus d’intelligence dès lors que l’endoctrinement saisi la matrice de l’Homme. Hier la lutte nazi vs communisme, aujourd’hui laïcité vs islamisme ou culture vs wokisme, etc. Le résultat est toujours le même : diviser pour régner ; les places au sommet sont rares et tous les moyens sont bons pour y parvenir…

Ainsi seront tirées les ficelles qui relient un meurtre en Bavière, une voiture qui explose à Rome, un film secret à Prague et une jeune artiste désinvolte qui cache bien son jeu. Le jeune policier Heller surfera sur la vague de la vérité sans réellement parvenir à tenir sa trajectoire. Dès lors que la politique entre en jeu, les cartes sont pipées.

Basé sur une histoire vraie – en 1983, un scandale toucha la RFA au sujet d’un espion infiltré par les Tchèques au sein des services secrets – ce récit fort bien écrit (et traduit par Carole Fily) se laisse appréhender avec plaisir. On est loin des caricatures de l’écriture des polars qui ne s’attardent pas sur le style. Ici la langue est enroulée, précise, offrant de belles envolées et respirations sur des détails géographiques, l’humour des protagonistes, les imbrications historiques…
Un ouvrage complet, érudit et ludique. Apprendre l’Histoire en s’amusant, avec quelques frissons en suppléments d’âme. Que demander de plus ?

Annabelle Hautecontre

Ulrich Effenhauser, Je vis la bête surgir de la mer, traduit de l’allemand par Carole Fily, coll. Actes noirs, Actes Sud, janvier 2022, 240 p.-, 21,80 €

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