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Le florilège disharmonique de Pierre Testard

Et n’allez pas croire que disharmonie rime avec ennui, bien au contraire ! Tapie sous le couvert d’une narration, l’intrigue couve, telle la braise oubliée sous la cendre qu’un léger souffle ravive pour l’inciter à se nourrir derechef de détails croustillants, ou de souvenirs morts et oubliés jusqu’à ce que les flammes réchauffent le piment qui ravive le sang du cadavre-exquis. Ainsi d’un rien découle ce roman, d’une idée recouvrée dans un carnet de notes se déploie un récit palpitant, prenant, captivant, qui irradie l’âme sous couvert de découvertes, de quête de sens, de détournement et d’idéal… 

Une ombre plane, fantôme des mémoires d’Ada et Angelo qui repoussent ces réminiscences d’enfance entourant le mystère de cette Lou Tamma en artiste maudite, une folle qui ramasse des débris pour en faire des œuvres dans son atelier perdu sur une île, soi-disant au large de Naples… mais ça reste encore à démontrer.
Ada garde la mémoire de la famille, à Rome, attendant des nouvelles de son frère parti faire le cuisinier dans un restaurant italien du centre de Londres. Partir pour oublier mais garder un pied dans les racines ancestrales, ne serait-ce que par le biais de la cuisine, même si celle-ci n’est pas gastronomique…
Le narrateur trimballe son ennui d’un pays l’autre et se retrouve à Rome, porté par le vent de l’insouciance et le désir d’oubli, intrigué par cette Ada qui lui donne les clés de son appartement avec la charge de veiller sur lui pendant ses – longues – absences. Il s’investira dans l’histoire familiale jusqu’à poursuivre sa quête d’absolu en Angleterre, espionnant puis sympathisant avec Angelo ; pénétrant l’intimité de cette fratrie si particulière.

Homérique et poétique, léger mais mordant, ce premier roman perfore les thèmes de l’altérité pour les déshabiller entièrement et recomposer les strates d’un ailleurs, celui de l’intime, du regard, de la perception de ce monde étrange qui nous entoure, peuplé d’individus tout aussi étranges dès lors qu’on s’attarde un peu sur leur psyché ; ainsi se déploie le destin des enfants Boetti, reflets de nos aspirations et de nos déceptions, de nos possibles trop souvent retenus.

Lorsqu’on avait retrouvé le corps inerte d’Oreste Lang, la boule de ceinture qui lui servait de stylo encore en main, il y avait cette phrase inscrite sous sa tête : "la tendre, secrète influence qui passait en moi et en d’autres enfants ne pouvait plus renaître, jamais plus."

 

François Xavier 

Pierre Testard, Les Enfants Boetti, Actes Sud, février 2022, 160 p.-, 18,50 €

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