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Le Regard ramassé de Paul Nizon

Florilège de textes parus à la fin des années 1950 à nos jours, ce livre est le musée de papier de Paul Nizon. Un écrivain d'art, subtile nuance qui le différencie des chercheurs, universitaires et autres curateurs. Ainsi l'approche est-elle plus englobante. Nizon évoque l’œuvre par le prisme de la vie. Il ne s'arrête pas sur l'école et/ou la technique, le style, etc. mais tisse un canevas qui positionne l'artiste en son époque...
En pénétrant dans ce musée si personnel, on y respire l'air d'une existence accomplie. Car le critique d'art développa un second métier d'écrivain en littérature. Parfois difficile de ne pas les mettre en concurrence, ce duel sous un crâne, donna parmi les plus beaux textes critiques sur l'art. D'une étude sur l'attitude narrative découle une action d'écrire. Et l'analogie avec l'action painting permettra à Paul Nizon d'identifier l'écrivain à l'artiste peintre. Le critique d'art en vient à son tour à ne faire plus qu'un avec l'écrivain lorsque celui-ci insère dans ses livres des passages tout d'abord écrits et publiés dans le cadre de son activité critique.
Nizon s'est mit à écrire sur l'art à une époque où celui-ci est surtout abstrait. Pollock fera figure de fil rouge – aucun point de repère pour quelqu'un qui ressentirait le besoin d'y lire des histoires. Puis Rothko n'offrira pas plus d'indice. Tout comme Kandinsky ou Klee. Mais cette grande abstraction l'enlise. Il recherche le point d'interrogation du réaliste. Proche de l'essayiste Farner il dénoncera le mercantilisme – Venise 1968, Art Basel 1971 et ce désir répugnant de voir s'écouler la marchandise.
Cela va l'amener à réfléchir à la fonction muséale qu'il illustrera avec un article sur Cristo et Warhol. Mais son engagement, et sa défense d'une certaine approche de l'art, ne fait pas de lui un praticien de l'histoire de l'art comme d'une science. Il s'en défend. Il n'aime pas le découpage en discipline et/ou périodes. C'est plutôt au moyen de valeurs tactiles qu'une peinture sollicite la sensibilité du regardeur, exerçant ainsi sur lui un authentique effet. Je demande pour toute chose la vie, la possibilité d'exister, et c'est bien ainsi ; point n'est alors besoin de se demander si c'est beau, si c'est laid. le sentiment que ce qui est créé dispose de vie est au-dessus de ces considérations-là et constitue le seul critère en matière d'art.
Et Nizon d'admirer dans le surréalisme d'un Otto Tschumi sa capacité magique d'animer le silence, l'accessoire et la mort. Le portant alors vers Van Gogh – dont il dressa, en 1979, un portrait magistral – et son art de l'extrême urgence : la vie est courte ! Il faut donc un art existentiel. Un art de la passion qui mêle éros et thanatos. Un art subjectif où le sujet s'efforce de dynamiter le temporalité...

Annabelle Hautecontre

Paul Nizon, Le Regard ramassé  Une anthologie de l'art moderne, édition et postface de Pino Dietiker et Konrad Tobler, traduit de l'allemand par Frédéric Joly, Actes Sud, novembre 2022, 384 p.-, 24€

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