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Demmin, faux départ

Demmin est tristement connue depuis les années 2000 pour la vague de suicides qui emporta une partie de sa population lors de l’entrée de l’Armée rouge au printemps 1945. Épisode soigneusement occultée de l’Histoire par la RDA du temps de son existence. Très peu de survivants…
Peut-être la vieille dame qui habite en face et qui semble espionner le quartier derrière ses rideaux en fait-elle partie. On suivra ainsi d’un bord l’autre cette drôle de Mata Hari et la jeune fille qui lui fait face et qui sombre dans l’ennui tant cette ville est morne. Un petit tour par Google et l’on retrouve le Netto – où travaille un jeune garçon qui troublera les deux amies –, les fleuves Tollense et Peene, toute une infrastructure qui ancre encore plus le récit dans le réel, ces villes de l’Est allemand qui donnent facilement le bourdon dès que le regard se porte sur elles tant l’urbanisme et l’architecture semblent absents… Avec l’adolescence les caractères tentent de s’affirmer et les décisions radicales imposent leurs lots de corollaires parfois dangereux. La jeune Larry, quinze ans, se rêve correspondante de guerre et, quand elle ne traîne pas avec sa meilleure amie, s’astreint pour cela à un régime sec et un entraînement digne des forces spéciales – rester la tête en bas le plus longtemps possible à la grande branche du pommier du jardin, tenir dans l’eau glacée du fleuve, retenir sa respiration le plus longtemps, etc. – jusqu’à se croire invincible et risquer sa vie sur la glace du lac pour sauver un cygne et se retrouver à son tour piégée et sauver de justesse par le jeune Timo. Lequel s’intéresse aussi à l’extrême sensation que l’on éprouve lorsque l’on se noie ; ce qui va les rapprocher et les pousser à mener une expérience à la limite de la mort.
À défaut d’argent de poche maternelle, Larry fait le ménage des tombes et reçoit un petit billet ici ou là ; elle aide un peu la vieille gardienne du cimétière à ranger son bureau et tenir les registres. Le mystère de Demmin s’ouvre alors à elle.
Truculence du premier roman, celui où l’on on ose tout, permet à Verena Kessler d’imposer son style léger où l’humour n’est jamais bien loin pour aborder des sujets délicats voire tragiques – la mort d’un jeune enfant, le cancer, la séparation, les espoirs déçus de l’adolescence, la fugue, le suicide de masse – rendant palpitante une lecture qui aurait pu être lourde et dévastatrice. Or, il persiste parmi les protagonistes un instinct de survie surpuissant dans ce maelstrom émotionnel et relationnel dans lequel adultes et ados s’enfoncent inexorablement tout en œuvrant pour aller de l’avant. Si les faits ne parlent pas toujours en leur faveur, l’intention est là. Après tout, c’est bien le présent qui compte, et l’idée que l’on se fait des possibles. Leur réalisation est une autre affaire…

François Xavier

Verena Kessler, Les fantômes de Demmin, coll. Lettres allemandes, traduit de l’allemand par Denis Dumas, Actes Sud, avril 2023, 256 p.-, 22,80 €

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