Alain Bertrand : Chroniqueur des instants fragiles

Alain Bertrand (1958-2014) aimait les chroniqueurs – Vialatte, Blondin, Perret –, dont il savourait l’acuité profonde, le regard tendre et amusé qu’ils posent sur les hommes. Comme eux, il savait tordre les phrases pour en faire des lassos, attrapant au vol les émerveillements suspendus. Wallon de Bastogne, Alain pratiquait l’Ardenne – les boucles de la Semois où le temps s’arrête –, les bières catholiques, les romans de Simenon et savait regarder ses contemporains. “Sociologue pour rire”, observateur des us et coutumes, il publia des recueils de textes cruellement drôles, qui dépeignent l’homo erectus du moment – ses tics, ses rites, ses pratiques : En province (Le Castor Astral, 2005), On progresse (Le Dilettante, 2007), Je ne suis pas un cadeau (finitude, 2010). Passeur de textes, il avait créé en 2011 la collection « Plumes du coq » chez Weyrich, en Belgique, où il publia jusqu’à cette mort venu trop tôt nous l’emprunter vingt récits illustrant la culture belge de langue française. Un recueil posthume, L’été sous un chapeau de paille, nous permet de savourer, une fois encore, les chroniques du quotidien changé en bonheur. Il tombe à pic, en cette saison des chemisettes.

 

Les vacances sont là, les rayons du soleil indiquent la route à suivre, tout comme les pages du guide qui brille par son savoir, déroule ses phrases limpides comme un ruisseau, s’illustre par des schémas d’un génie tout militaire. Il faut d’abord faire sa valise toujours trop petite, une grosse bête [qui] arpente les quais de gares ou les aéroports, ne pas tout emporter, laisser le pire entre la pile des factures et les regrets de l’année. Les vacances ? Fuir de chez soi en croyant s’évader de soi. Pas facile de quitter les habitudes. L’homme cherche sa route depuis le jardin d’Eden. Le touriste, lui, avec ou sans GPS, lorgne vers le Midi, où il rêve de placer provisoirement son existence : une fourmi qui marche en file indienne, l’abdomen gonflé et la tête en épingle. Quand il n’atterrit pas au camping des Flots bleus, où le pastis tient lieu d’Ambroisie, le passager des vacances investit la Toscane – vue imprenable sur les tours de Sienne – ou Naples : la merveille de l’instant, la place exacte que monsieur trouve entre le ciel et la mer, et cette vague sereine qui lui emplit le cœur. La Côte d’Azur – l’épiderme oint à l’huile de cuisson – peut convenir aussi.

 

Peu importe d’ailleurs les lieux, seule compte la formule : l’été veut effacer toutes les traces de la vie ordinaire. Le regard de l’estivant, homme de cœur disponible et vacant, transforme le monde, lui donnant ses couleurs. A deux pas du zoo d’Anvers, le chroniqueur, particulièrement inspiré – à moins que ce ne soit le touriste sur le départ – souligne d’un œil neuf les milliers de livres en flamand, le piranha séché, le pangolin embaumé, le drapeau belge, la vieille Remington sur le bureau de pin, ainsi que les dizaines de valises usées par les filets à bagages et qui m’entouraient comme des songes immobiles. 

 

Ces trente sept textes courts en disent long sur le bonheur d’écrire qu’Alain Bertrand nous laisse en héritage – humour et poésie – : des vacances à rallonges devant la brièveté des jours soleilleux.

 

Frédéric Chef

 

Alain Bertrand, L’Eté sous un chapeau de paille, Weyrich, coll. « Plumes du coq », juin 2014, 172 pages, 16 € 

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