Alain Duault et l'identification au monde

L'œuvre poétique d'Alain Duault est inégale. L'un – sinon le premier – de ses recueils Colorature reste un chef-d'œuvre d'une poésie qui prend sa source dans l'ineffable. Celui de la musique et celui "d'une étreinte conflictuelle ou inapaisée avec le monde".
Sa Cérémonie des inquiétudes est du même niveau.

Dans un jeu de balancier l'auteur ne triche jamais et permet de renouer avec une poésie accessible dont la force d'investissement est toujours en marche. Certains tirent trop cette poésie d'acquiescement vers une révolte qui n'est pas là forcément.
L'écriture révèle un comment vivre enjoué même dans les pages  où traîne un loup blond,

"Il n’y avait rien à comprendre c’est bien souvent cela
La vie : les pierres tièdes sous la peau des pieds nus
L’odeur du pain qui grille jusqu’à l’or cuivré le livre
Qu’on ne voudrait pas finir et soudain c’est la fin
".

Nul besoin d'autres obstacles, nul besoin de code pour être à l'unisson du poète. Car si tout part d'un manque, d'une inquiétude, Alain Duault ramène à l'existence telle qu'elle est.
Il en explore les chemins de traverse, les lieux perdus ou oubliés où il convient de s'arrêter pour ne pas jouir trop tard de l'amertume de ce qui n'est plus.

Existent bien sûr des angoisses mais le poète se force à la sagesse. Il la forge de mots simples et de narrations qui frappent dans ce qui tient de paysages, de situations et leurs métamorphoses.
La poésie demeure vivante. Elle résiste au temps qui fuit comme aux vertiges d'illusions d'optique trop intellectuelles, au nom d'une envie de la vie à laquelle l'auteur  répond.

Face au chaos le poète explore les ombres, cherche toujours de quoi et comment espérer. Et soudain tout s'illumine,
"Le soleil du matin qui a des rires à tous les rayons
Une femme dont la peau luit dans le noir mon Dieu
Qu’elle est belle : la rivière s’arrête pour la regarder
".

Un épicurisme sobre émerge contre tout ce qui fait mal. L'œuvre est bien celle d'un investissement total. L'écriture avance pas à pas, peu à peu, avec discrétion loin d'un style asséchant afin d'exalter des sensualités qui passent à portée de regard ou des mains.
La méditation demeure, s'approfondit mais sans acrimonie - bien au contraire. Sur la basse obstinée que la mort fait peser sur l'existence, perdure l'identification au monde en des célébrations de moments sublimés. Il faut savoir s'empresser à chaque instant   même lorsqu'ils sont le fruit  "du vent, de l’ombre".

Jean-Paul Gavard-Perret
 

Alain Duault, La cérémonie des inquiétudes, Collection Blanche, Gallimard, février 2020, 160 p.-,
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