Soral, Comprendre l’empire : dernier round ?

Comprendre l’Empire, l’entreprise s’annonce déjà ardue. Mais comprendre Alain Soral, alors là… Il se lit partout sur Internet que son nouvel opus se porte à merveille, repris dans le palmarès de L’Express, grimpant vers l’Olympe des ventes à la Fnac, sur Amazon ; bientôt en tête de rayon chez Auchan ? Cette attente assoiffée à laquelle semble répondre l’ouvrage (dont à en croire certains, à l’exemple de l’album Les Marquises de Brel, le tirage aurait presque été épuisé avant sa sortie) ainsi que son succès ascensionnel offrent au critique traînard la confortable liberté d’en parler sans trop de ménagement ; une désapprobation n’aura d’autre effet que celui d’une goutte croupie dans une baignoire d’eau potable, diluée illico, évacuée des mémoires en un éclair. Elle aura quand même eu le mérite d’exister et, qui sait ?, de dessiller quelques-uns de ceux qu’éblouirent le « scandale », la saine « insolence », le formidable « courage » de ce poids lourd de la polémique.

 

L’essai (sic) de Soral est un mauvais livre, et il faut succomber à bien des indulgences pour soutenir le contraire. Au lieu d’en décortiquer les idées, de nous lancer en quête de son hypothétique fil conducteur, bornons-nous à examiner la recette qui a présidé à la confection du mets. Prenez du Marx, du Sorel, du Maurras, du de Maistre et du Bonald, l’essentiel de la littérature complotiste de l’abbé Barruel à Thierry Meyssan, une dose de Dieudonné, faites bouillir et moulinez. Délayez un cube de BHL-Finkielkraut-Minc-DSK-Harlem Désir-Sarkozy et voyez comment les yeux surnagent. Ajoutez une poignée de pois sauteurs du Mexique (pour la chronologie, parce que ça part dans tous les sens en la matière). Goûtez avec précaution : attention, c’est brûlant au début, mais cela refroidit vite…

 

Il est clair que Soral n’a pas systématiquement tort, qu’il avance par moments des arguments ou des constats pertinents (avec certes moins de talent et de clarté que certains de ses prédécesseurs), qu’il ose pourfendre des entités collectives ou des personnalités que peu affrontent. On ne peut de surcroît guère lui faire grief de ne pas mettre sa peau sur la table à chaque fois qu’il s’exprime, l’homme s’avérant un interlocuteur redoutable… mais davantage chez Taddeï que derrière son bureau, ces derniers temps.

 

Ce qui est inexplicable avec Comprendre l’Empire en particulier, c’est comment ce pensum peut être présenté (et accueilli) comme son livre « le plus profond, le plus complet et le plus polémique de tous ». Sous prétexte que Gribouille aurait découvert qu’il n’y avait plus ni gauche ni droite, ou que les valeurs de ces deux pôles devaient s’interchanger pour redevenir opérantes, eh bien, il aurait pondu Le Capital du XXIe siècle !

Il est une phrase, page 101, que l’auteur aurait mieux fait de méditer à son propre sujet plutôt que de la prêter à la stratégie de sa cible : « Plus on gagne en extension, plus on perd en compréhension, ou exprimé autrement par l’adage populaire : qui trop embrasse mal étreint. » Soral a ouvert les bras très large, à la sociologie, à la philosophie politique, à l’économie, à l’histoire, à l’actualité ; il aurait pu encore forcer sur ses biscotos d’ancien boxeur pour inclure la grammaire dans son accolade. Car – et là permettez-moi de passer à la première personne pour l’avouer, afin de n’engager que moi – je n’avais plus rien lu d’aussi mal torché depuis des lustres.

 

Mais où diantre est passée l’écriture vigoureuse, solidement charpentée, verveuse en diable, de celui qui signa naguère l’excellent Chute ! ? Tsunamisée par ses lectures théoriques, ses engagements partisans et ses décryptages compulsifs des médias ? À ce compte, les « chapitres » minimalistes qui émaillent Comprendre l’Empire auraient pu être envoyés, moyennant abonnement auprès d’un quelconque opérateur, directement sur les portables. Voire être proposés en Powerpoint, le défilement des arguments paraissant calqué sur une intervention orale dont on aurait prélevé les mots-clés et le squelette.

 

Sur le plan formel, Soral s’est livré à un authentique exploit, à la limite de l’exercice oulipien : il a imposé dans le paysage essayistique français une syntaxe novatrice, en cela qu’elle fait, huit fois sur dix, l’impasse sur le verbe principal ; par contre, il use jusqu’à la corde des participes présents, des relatives et de ces binômes rhétoriques soit/soit qui font le miel des rédacteurs de manuels genre J’écris de manière claire et structurée. Sauf que, pour le coup, c’est raté. La concaténation des paragraphes évolue selon la pesante dynamique des bouts rimés, un fragment commençant en général par le dernier vocable du précédent, sur le modèle « marabout, bout de ficelle, etc. ». Et à partir du moment où Soral a la révélation qu’il pourrait même faire fi des connecteurs logiques en recourant à la barre oblique ou au signe égal pour poser des équivalences et des oppositions, le style avoisine le degré zéro de l’équation mathématique. Prochaine étape : un digest de la pensée réactionnaire en texto ?

 

Ici se pose une question cruciale : ce livre, qui est, d’après ce que mentionne l’introduction longue d’une page et demie, le « fruit de cinquante années d’expériences combinant lectures et engagement » (Soral a, rappelons-le, 53 ans : autorisation de sourire) – ce livre, à qui donc est-il censé s’adresser ? Toujours dans cet avant-dire qui est le seul moment où on perçoit un filet de sa voix d’antan, Soral déclare ne pas pouvoir se résoudre au « cynisme d’élite qui conduit au mépris du peuple et du bien commun ». Bravo ! Mais est-il à ce point naïf (ou dénué de bonne foi) pour estimer sincèrement que les innombrables références – dont il fait un étalage aussi bâclé et rapide qu’un joueur de bonneteau de ses gobelets – sont partagées par le principiel Monsieur Tout le Monde à qui il tient la jambe au Café du Commerce ou par l’Ur-travailleur-immigré-intégré-discret-dans-sa-pratique-du-culte-fier-d’être-français qu’il affectionne tant ? « Zombie Dupont, toi qui partages les angoisses de Spengler et qui connais les termes de la Loi Le Chapelier de 1791, voici ta Bible ! » semble clamer chaque ligne. Résultat : le lectorat de Soral se calque sur son électorat, pour devenir introuvable.

 

Et puis… Et puis survient cette ultime phrase, glanée au dernier paragraphe : « Dans ce combat pour la France, nous devons apporter tout notre soutien […] à ces patriotes musulmans qui travaillent, entreprennent et ramènent des médailles pour le drapeau dans les compétitions sportives… » Voilà, Alain Soral, qui s’appelle se tirer une balle dans le pied, et au Riot gun. Parce que, quand sur deux cents pages on a dégueulé l’argent occulte du complot judéo-laïco-américano-maçonnico-socialiste, on ne vient pas ramper de respect devant celui que draine le coranisme managérial (il existe des études, sérieuses celles-là, sur les rapports entre l’islam et la mondialisation) ou encore les mafias athlético-olympiques qui brassent autant de pognon que celui cumulé par le bibendum Microsoft et toutes les banques dont vous établissez anarchiquement la liste.

 

L’affaire est entendue : fort peu à retenir de ce pseudo-brûlot confusionniste, sinon l’admirable poème en prose de Baudelaire reproduit in extenso en ouverture. Un choix judicieux mais que, hélas, on peut déjà trouver dans d’autres éditions, et même téléchargeable gratuitement.

Enfin, il n’y a qu’un reproche qu’on ne pourra pas formuler à Soral : en parfait honnête homme, il n’a pas plagié de notices Wikipédia. Il a juste bousillé la sienne, en beauté.

 

Frédéric Saenen

 

Alain Soral, Comprendre l’Empire. Demain la gouvernance globale ou la révolte des nations ?, Éditions Blanche, février 2011, 240 pages, 15,50 €

 

23 commentaires

Damned! ça , c'est envoyé! 

Vous faites plaisir à lire, Frédéric. J'envoie le lien de l'article de ce pas à mes amis qui sont encore à dire que Soral a tout compris.

anonymous

Eh bien après lecture, si, il me semble qu'il a plagié une notice wikipedia, sur la loi Le Chapelier. Je commence juste à lire son bouquin (sorti en 2011) et page 20, on y trouve un copier coller d'une page wikipedia écrite en 2009.

Que deviendraient nos essayistes

Doctorants et thésards fumistes

Sans tirer à hue et à dia

Leurs livres de Wikipedia…

quelle était la justification de ce "grantécrivain" Michel Houellebecq déjà ?

anonymous

Je ne suis pas un lecteur de Soral, et je suis tombé sur votre article par hasard, en cliquant sur un lien perdu sur internet. J'ai lu votre article, et je l'ai trouvé aussi bien écrit qu'un narcissique aurait pu le faire. Il y a bien une chose que je me suis dite en achevant de lire ( avec fatigue, je l'avoue : vous manquez remarquablement de rythme ) : "Soral, je le connaît, alors que...(cherche le nom)... ha oui... Frédéric Saenen, jamais je n'ai entendu parler de cet homme-là. 


Nulle part que sur ce lien perdu au milieu de nulle part.

Vous oubliant en fermant cet onglet, bien à vous.


anonymous

Cher Monsieur (je déduis le genre auquel vous appartenez grâce au masculin de "lecteur"),

 

Je tenais à vous remercier de votre message. Je ne puis qu'apprécier  la démarche, désintéressée et pure, qui consiste à prendre la défense d'auteurs que l'on n'a pas lus mais qui souffrent en effet des attaques venant de critiques aux petits pieds tels que moi. Vous êtes définitivement dans le bon et le vrai.

 

Votre diagnostic est juste lui aussi, je suis un horrible narcissique. La preuve: je pousse l'impudence jusqu'à signer mes articles de mon nom de parfait inconnu. Vais-je guérir ? J'attends que l'on me tende la main, ainsi que vous l'avez noblement fait, pour me sortir de là.

 

Merci enfin d'avoir subtilement fait comprendre au Belge calamiteux que je suis mon ignorance de certaines règles élémentaires de la grammaire française (le "t" final à la première personne du présent de "connaître", l'accord de "dite" dans ce difficultueux cas de verbe pronominal). Il est très délicat de votre part d'ainsi me rééduquer, tout autant que sur le plan stylistique. Je recourrai désormais, comme vous, à la phrase averbale et à l'enfilade de participes présents - procédés autrement élégants  en effet que mes phrases prétentieuses que je pensais syntaxiquement correctes - pour m'exprimer.

 

"En vous remerciant vous étant reconnaissant et espérant vous lire prochainemant", donc... (c'est mieux ainsi, niveau rythme?)

 

Frédéric SAENEN

anonymous

Je ne suis pas lectrice de Soral, ni de Frédéric SAENEN a priori, mais quel plaisir de lire ces dernières lignes!

anonymous

Ayant lu par curiosité Comprendre l'Empire, votre critique bien amenée sur la forme du livre de Alain Soral manque cruellement d'arguments sur le fond....

Comprendre l'empire est un livre qui ne s'attarde pas sur la forme (par choix comme l'explique l'auteur) mais va droit au but, sans détours en exprimant un point de vu pertinent et clair que l'on entend rarement.

Il se rapproche beaucoup du dernier livre Jean Claude Michea "Les mystères de la gauche, de l'idéal des lumières au capitalisme absolu", dans un style plus simple et plus incisif,  donc plus agréable pour le lecteur.

C'est l'inverse de votre article dont la syntaxe est jolie mais la critique subjective en surfant sur des gros clichés et des raccourcis malsains. 

Je suis sur que vous êtes plus sérieux que ça! 

Jusqu'à nouvel ordre (mondial? eh eh), j'ai publié cet article sur un site de critique LITTERAIRE, j'estime donc légitime de parler de syntaxe, de lexique, de rhétorique, bref de style. Si Soral n'avait été également un écrivain, je n'aurais pas plus traité de son ouvrage que je ne l'aurais fait de celui d'un sociologue jargonnant. 

Je crois aussi savoir que l'essai, genre certes discursif, requiert un minimum d'efforts côté plume pour atteindre à la qualité attendue du genre (cf les maîtres de cette tradition).  Les idées de Soral sont selon moi trop mal exprimées pour se hisser au niveau d'une pensée. "Le Salon littéraire" n'est pas le lieu pour en discuter, il y a assez de sites animés par des Homais enragés pour ce faire.

Merci de qualifier ma critique de "subjective", c'était en effet ainsi que je la concevais en l'écrivant et en la diffusant. Pourrait-on m'expliquer comment (et avec quel but?) on peut parler d'un pamphlétaire, de quelque eau qu'il soit, en demeurant dépassionné, "objectif" ?

Enfin, dernière question : ne pas accepter l'ironie mordante envers une figure qui en use et en abuse, n'est-ce pas la transformer en gourou et, au passage, s'en faire son adepte ? Je vous laisse réfléchir à ceci, je ne me permettrai pas de répondre à votre place. J'ai de toute façon fort envie de clore ici ce "débat".

 

F SAENEN