Les poupées russes de Jérusalem

Tout en un. La ville de toutes les villes. Positionné entre Pérec et Jauffret, Alan Moore nous donne à lire une ville. Vision verticale d’une histoire. Somme de toutes les histoires, d’un siècle l’autre, croisant temps et personnages, Jérusalem propulse le lecteur au cœur du monde. Northampton, en l'occurrence.
L’antédiluvien concept du tout, physique quantique de la narration, ce roman gargantuesque se déguste avec lenteur et précision. Des filles perdues aux voûtes des églises, lecteur passe-murailles nous savourons chaque phrase, chaque histoire comme la particule élémentaire d'un cosmos. Plaisir et robustesse, envolées et horreurs sociétales, la ville est le résumé du monde en mouvement sans pour cela que l’architecture se modifie. Ou si peu. Seul le temps impose son imprimatur. Sans doute pour cela qu’Alan Moore a investi dix ans de sa vie pour venir à bout de ce chef-d’œuvre.

Que le lecteur n’appréhende pas les deux mille pages qui l’attendent. Car tout est dans le rythme : immense scénariste (La Ligue des gentlemen extraordinaires, From Hell, V pour Vendetta) Moore connait son manuel. Ainsi il enchaîne son lecteur à la trame qui se nourrit de courts chapitres, parfois dissociés en apparence, mais totalement solidaires. Chaque personnage interagit avec l’autre, quelque soit l’époque.
Récit-monde d’un magma universel qui n’est autre que la vie des Hommes. Fourmis parmi les fourmis dans un espace restreint, voici le sujet qui se débat, surgit, survit, ose et dépasse ses attentes. Sang ou joie festive, guerre ou paix, bien et mal scellés dans l’ordre d’une même pièce que le sort s’ingénie à jeter en l’air sans savoir qu’elle peut aussi retomber sur sa tranche. Alors vibre l’énergie du monde dans ce qu’elle a de plus sensationnelle, effrayante, fascinante...
Au-delà de toute limite : le libre-arbitre. Le roman fait Homme…

 

Annabelle Hautecontre

Alan Moore, Jérusalem, traduit de l’anglais par Caro, Babel, septembre 2019, 1904 p.-, 14,80 €

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