Tobie et Léah, d'Albert et Déborah Bensoussan : l'art amoureux du voile et du dévoilement
Léah est secrète. Dans ses lettres, elle apparaît voilée. Elle porte le masque. C’est sa force de séduction. C’est aussi la clef de tout érotisme. La femme est pour l’homme une énigme qu’il faut apprendre à déchiffrer. C’est ainsi que naît le désir. Voici ce qu’écrit Tobie : « Tu es mon Indienne, fuyante et réservée –ne sont-ils pas tous sur –dans– la réserve ? Alors que je voudrais –j’attends– que tu te donnes, te livres et délivres le secret de ton âme. Ma démarche, en entamant ce que j’imagine être un dialogue possible, obéit avant tout à ce dévoilement de toi. » Étrange pouvoir de la femme, Léah lit en son amant mieux que lui en elle. Elle connaît le masochisme des hommes. Pour se faire aimer, elle sait aussi se faire détester, jouant sur la jalousie en lui racontant par le détail ses rencontres avec d’autres hommes, tel William : « Nous regagnâmes nos deux chambres contiguës, nous assurâmes que toute la maisonnée s’était endormie, puis, William, drapé dans une robe de chambre imprimée cachemire dissimulant une nudité trop frêle à son goût, me rejoignit. Il retourna mon corps docile, s’agenouilla derrière moi, et ce fut ainsi quatre soirs de suite… », écrit-elle. Les lettres qu’échangent Tobie et Léah sont un aiguillon, mais celui-ci pourrait s’avérer fatal. « Désolée, je sais que cet “amour vache” entre nous, c’est moi qui l’ai initié. J’ai quémandé pour sortir de la tiédeur des ébats convenus… », écrit encore Léah.
Claude Lévi-Strauss a fort intelligemment parlé naguère, dans un ouvrage célèbre, du « Cru et du Cuit ». Dans leur livre, Albert et Déborah Bensoussan, en amoureux de langue, nous convient à un savoureux mélange, Léah, souvent, pour le « cru » et Tobie pour le « cuit ». Et tous les jeux avec les mots sont encore ici des jeux d’amour.
Alain Roussel
Albert et Déborah Bensoussan, Tobie et Léah, Apogée, octobre 2014, 128 pages, 15 €
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