Albert Camus (1913-1960), écrivain de l'absurde, philosophe, prix Nobel de littérature en 1957. Biographie d'Albert Camus.

Albert Camus & Maria Casarès : confidences d’un véritable amour

Alors qu’un orage de fer va s’abattre sur la Normandie – et embraser tout le pays – après quarante-huit heures de trombes d’eau, l’électricité qui crépite dans l’air de la capitale semble contagieux, rien n’y personne ne peut y échapper : Maria Casarès, jeune actrice prometteuse marchant vers la gloire succombe au charme du dramaturge qui lui a donné le rôle-titre du Malentendu, Albert Camus, en cette nuit cruciale du 6 juin 1944.
Elle n’a que vingt-et-un ans, il en a trente…

Mais très vite Camus doit fuir Paris car son engagement dans la Résistance par le biais du journal Combat risque de lui jouer un vilain tour. Il part donc le 1er juillet à Verdelot, en Seine-et-Marne avec deux cousins de Gaston Gallimard. Une mise au vert qui est aussi un calvaire émotionnel qui l’éloigne de Maria. Il sait déjà que la foudre a frappé : Il y a quelque chose qui n’est qu’à nous et où je te rejoins toujours sans effort ; il y a, en effet, cette clairvoyance qui n’est pas la lucidité qui frustre ou la vérité qui dessert bien trop souvent ; il y a cela qui veut obtenir le bonheur.
Or l’Histoire se joue d’eux, et la rapidité d’action, le tourbillon d’émotions, la grande présence d’Albert Camus, tout cela affole un peu la jeune Maria qui se fait désirer, ne répond pas tout de suite aux missives, esquive une possible venue, se fait porter pâle… D’ailleurs, Albert Camus est marié, Francine est bloquée à Oran mais la guerre va finir, elle va rentrer. Que va-t-il se passer ?

L’intuition féminine porte Maria Casarès vers la retenue quand Albert Camus se consume dans l’introspection. Moi, il y a longtemps que je sais que ces heures où j’ai envie de me détourner de tout sont les plus dangereuses – celles où il me vient l’envie de fuir et de vivre loin de tout ce qui pourrait m’aider. C’est parce que je sais cela que je viens vers toi.
Mais rien n’y fait, la chipie espagnole tient le cap, elle ne cède pas et l’on suit le lent naufrage du futur prix Nobel…
En octobre tout est fini.

Deux ans s’écoulent et puisque Dieu est farceur il rebat derechef les cartes du destin pour que le 6 juin 1948, ils se croisent boulevard Saint-Germain, et désormais ne se quitteront plus – excepté les obligations professionnelles et familiales (Camus a eu des enfants entre temps, Maria Casarès doit s’occuper de son père malade en sus de ses tournées théâtrales ou des tournages de films).
Ainsi ce sera douze années de passion et de lettres splendides, révélant au fil des envois l’intimité du couple, les jeux et les questionnements, les tiraillements et les abandons, les révélations et les supplices de l’attente. Aux heures où l’on se sent le plus misérable, il n’y a que la force de l’amour qui puisse sauver de tout.


Le véritable amour est quelque fois évoqué au détour d’un livre ou d’une dramaturgie, or il s’avère le plus souvent difficile voire impossible à décrire, à comprendre, à expliciter à un public. Trop de mots souvent qui ouvrent la porte des mièvreries (on se souvient de certaines lettres de François Mitterrand qui prêtaient à sourire et auraient mérité l’oubli plutôt que de figurer dans un livre) quand ici, Maria Casarès comme Albert Camus, dialoguent en littérature de la plus prompte des manières, avançant arguments et hypothèses avec un style et une haute tenue, tombant le masque de la pudeur et de l’émoi trop souvent préservés dans un carcan d’orgueil.
Nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes reconnus, nous nous sommes abandonnés l’un à l’autre, nous avons réussi un amour brûlant de cristal pur, te rends-tu compte de notre bonheur et de ce qui nous a été donné ?

Voici nos amants magnifiques nus face à l’absolu dont ils ont l’entière certitude : Cela signifie que j’ai retrouvé avec toi une source de vie que j’avais perdue. On peut avoir besoin d’un être pour être soi-même.

Huit cent soixante-cinq lettres témoignent ici d’un extraordinaire amour, d’une force absolue déployée dans la construction dudit, dans la lumière de tous ces possibles qu’un tel sentiment permet malgré les innombrables obstacles que la vie s’ingénie à ériger sur le chemin des Hommes de bonne volonté.
Destin tragique qu’un virage mal négocié le 4 janvier 1960 par un Michel Gallimard trop tempétueux avec sa nouvelle Facel Vega – et sans doute encore dans son repas gastronomique du Chapon fin – qu’il ne dompta pas les 253 chevaux-vapeurs au Petit-Villeblevin, dans l’Yonne…

Mais quand on a aimé quelqu’un, on l’aime toujours, n’eut de cesse de rappeler Maria Casarès bien après la mort d’Albert Camus ; lorsqu’une fois, on n’a plus été seule, on ne l’est plus jamais.

François Xavier

PS – Les extraits ne sont pas identifiés à dessein car la majeure partie des lettres peuvent se lire dans les deux sens tant la fusion des deux amants est pleine et entière.

Albert Camus & Maria Casarès, Correspondance 1944-1959, texte établi par Béatrice Vaillant, avant-propos de Catherine Camus, Gallimard, octobre 2017, 1312 p.- 32.50 euros

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