Le Bréviaire du Chaos d'Albert Caraco

Philosophe essentiellement nihiliste, coincé quelque part entre Nietzsche et Cioran, Albert Caraco (1919-1971) a laissé une œuvre considérable, d'une lucidité presque farce et d'une langue magnifique de splendeur et de limpidité. Sa foi est à lire en contrepoints de ses imprécations et de ses litanies d'une incroyable noirceur. Et le Bréviaire du Chaos est sans doute le projet le plus radical de Caraco, qui impose sa cadence terrible pour châtier l'homme de vivre en ayant perdu la conscience de sa nature qui est, d'abord, l'éphémère. 

« Que si les hommes n'espéraient en rien, leur lot ne serait plus le même, que si les hommes ne croyaient en rien, leur condition changerait peut-être : ainsi l'espérance et la foi n'ajoutent qu'à leurs maux, mais font le bonheur de leurs maîtres et les spirituels, malgré leur sainteté, ne peuvent qu'ils n'en soient les chiens de garde. Le Jour du Jugement, ni l'espérance ni la foi ne seront pardonnées, au vue des morts qu'elles auront fait naître et des agonisants, qu'elles induisent à multiplier, jusqu'à leur dernier souffle, leur semence. » 

Caraco s'applique dans chacune des prières de ce sombre bréviaire à imposer à l'homme son devoir essentiel : vivre autant que peut dans l'instant sans craindre la fin des temps dont l'humanité subira comme sa propre faillite l'avènement. La mort est certaine, c'est le but réelle de la vie, et croire autre chose n'ouvrira qu'aux souffrances terrestres. Stigmatisant les leurres de la vie sociale, Caraco invite à s'épurer du concret pour tendre sereinement à la seule réalité de notre vie, la mort. La mort, comme une attente qui ne sera pas vaine si elle n'est encombrée d'aucune fadaise. La mort qui délivrera du Choas d'un monde composé de villes inhumaines, d'espoirs grotesques et de 

« Nous appelons le chaos et la mort sur l'univers présent et nous applaudissons à leur venue, la perpétuité de l'ordre serait pire et s'il ne se désassemblait, il changerait les hommes en insectes. […] L'ordre, que nous servons et qui nous envoie au supplice, l'ordre a besoin de producteurs et de consommateurs, non pas d'hommes entiers, les hommes entiers l'incommodent, il leur préfèrera toujours les avortons, les somnambules et les automates, son crime est là, l'ordre est pêcheur et criminel ensemble, nous ne lui devons que la flamme, c'est par le feu que l'ordre périra. »

Il faut s'immerger dans la beauté du style de Caraco pour en dépasser l'apparente âpreté et atteindre à sa quintessence qui est, oui, l'espoir. Celui d'une vie immédiate libérée des angoisses et des chaînes. Une vie offerte au Chaos à venir, qu'il ne faut pas craindre, mais espérer.


Loïc Di Stefano

Albert Caraco, Le Bréviaire du Chaos, L'Âge d'Homme, mars 2014, 126 pages, 12 eur
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