"L'Aimable-Julie, Monsieur Charlot et consorts", onze nouvelles d'Albert Vidalie en forme de brocante d'exception.

Avant ça, c’est un enfant plutôt solitaire, il cumule très tôt les
petits boulots manuels et passe par la case stalag pendant la
quasi-totalité de la Seconde Guerre Mondiale. Proche de Roger Nimier, de
René Fallet, de Georges Arnaud, de Jean Giono, de Georges Brassens ou
encore d’Antoine Blondin, qui lui consacrera des pages dans Monsieur Jadis ou l’École du Soir –
souvenirs de soirées parisiennes, d’errances sérieusement alcoolisées
et d’amitiés remarquables – Vidalie meurt en 1971, et s’il a
profondément marqué ses contemporains, en marge des salons de l’époque,
l’oubli a fini par le recouvrir à mesure que ceux-là ont eux-mêmes
disparu.
C’était sans compter cette édition qui réunit onze nouvelles – dont une inédite – étalées chronologiquement sur une vingtaine d’années et publiées initialement dans les journaux à partir de 1946.
« C’était une petite rue triste, comme toutes les petites rues tristes qui semblent n’avoir pas d’autres fonctions sur terre que de s’enrouler tristement autour des gares ou de faire une fin désespérément ordinaire dans l’anonymat d’un boulevard extérieur. »
Ce sont donc des pièces inégales, tant au niveau de la forme que des thèmes, qui s’enchainent ici, mais les personnages ont du corps et le talent de conteur de Vidalie s’impose au fil des pages : la magie opère, malgré l’incohérence qui peut déstabiliser au début.
Un train de
banlieue file vers des heures sordides, un joueur mystérieux trompe le
destin dans la rue la plus triste du monde, des comptoirs s’illuminent
sous la pluie, au détour d’un réverbère. Plus loin, c’est Monsieur
Charlot qui rayonne d’un éclat poussiéreux. Ailleurs, ce sont des Amants
Bizarres, arrachés à un autre siècle et qui n’auraient pas déplu à un
Villiers de l’Isle-Adam, ou encore ces noëls singuliers, à la lisière du
fantastique pour l’une et à l’intérieur d’un camp de prisonnier pour
l’autre ; le stalag on y revient, ou plutôt on en sort, pour clore le
livre ; une randonnée qui prend aux tripes.
« Nous chantions des chansons de désespoir et le gardien, aussi las que nous, nous accompagnait en sourdine, car rien ne ressemble plus à un chant de défaite français qu’un chant de victoire allemand. »
Le recueil est à l’image de la vie en dents de scie de cet auteur touche-à-tout qu’évoque Patrice Ducher dans la préface. Le registre lyrique succède au verbe populaire, ultra-réaliste, et l’éventail des tableaux proposés tient, pour ainsi dire, de la brocante d’exception.
Il faut aimer être surpris, avoir le goût de l’éclectisme. car Vidalie est chez lui partout : au fond d’un bistrot aux murs jaunis par la clope ou en costume d’époque, sur le dos d’un cheval, l’épée au côté.
Il y a chez
lui une véritable passion pour raconter des histoires, créer des
atmosphères ; cette passion qui lui a permis de s’extraire des caves et
des prisons où la première partie de son existence semblait le
condamner, même si, bien entendu, l’argent n’a jamais vraiment été au
rendez-vous et qu’à l’instar de son ami Blondin, pas mal de livres ont
dû rester sur le bord du comptoir.
A noter que le Prix Georges Brassens a décerné une mention spéciale aux éditions du Dilettante pour cet ouvrage.
Arnault Destal
Albert Vidalie, L'Aimable-Julie, Monsieur Charlot et consorts, Le Dilettante, octobre 2010, 189 pages, 17 €
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