Alberto Manguel et nos amis littéraires

Il y a des pas à franchir. Des manières de lire autrement. Des habitudes d’enfant à conserver. Un mimétisme inconscient qui s’invite parfois lors d’une lecture particulière. On s’identifie au héros. On s’invite dans son univers. On en rêve. On en parle autour de soi. On incite alors l’autre à lire aussi…
C’est un peu le dada d’Alberto Manguel : être un passeur. C’est un sacerdoce chez lui. Une manière d’être prosélyte en littérature. Une vocation que cet enchanteur érudit a très tôt ressentie.

Dans son dernier livre, il nous entraîne sur les pas de ceux qui peuplèrent nos longues années, depuis l’enfance, sans que l’on s’en aperçoive. Ou presque. Nous évoluons, nous grandissons mais nous lisons toujours, et nos personnages changent d’identité tout en demeurant en nous. Qu’on les voit différemment ou qu’on lise autre chose. Mais le résultat est le même. Leur enseignement nous est indispensable. Que cela parle d’amour, d’amitié, de deuil. Voire du monde étonnant dans lequel on vit. Ainsi nous serons guidés sans le savoir par le Jim de Huckleberry Finn ou le Petit Chaperon rouge, ou le capitaine Nemo ou encore Phoebé (L’Attrape-cœurs)…

Il en va donc de nos vies, de nos désirs, de nos décisions pas si innocentes des influences que nous avons subies sous l’aura de personnages emblématiques de la grande littérature. Nous aidant ainsi à répondre tant bien que mal aux grandes questions de l’existence.
Alberto Manguel analyse l’importance culturelle des monstres fabuleux qui, de tout temps, de génération en génération (de Pinocchio à Harry Potter) nous tiennent par la main fidèlement comme pour mieux nous aider à nous tenir droit, à rester sur le qui-vive, à pratiquer le libre-arbitre. Posture pas si aisée quand on voit combien les dogmes dominent la pensée (unique).
Mais là où toute la force de cet essai prend sa source, c’est dans la manière qu’à l’auteur de faire entrer en résonnance les parcours de ses amis imaginaires avec les enjeux du monde actuel. Ce que nous montre Manguel, à travers son casting de monstres fabuleux, c’est que, toutes fictionnelles qu’elles soient, de telles figures sont capables de nous aider à mieux appréhender notre réalité. Et que leur fréquentation à travers les livres peut nous permettre de retrouver notre chemin de Damas, notre raison de vivre, dans cet univers carcéral qu’est devenu le monde.

Grâce à ses formidables pouvoirs de lecteur, Alberto Manguel nous engage à constituer notre propre galerie de compères littéraires, car rien ne vaut les amis que l’on se choisit plutôt que les camaraderies imposées par la société.

Annabelle Hautecontre

Alberto Manguel, Monstres fabuleux – Dracula, Alice, Superman et autres amis littéraires, Actes Sud, coll. "Lettres anglo-américaines", mars 2020, 288 p.-, 22,50 €

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