Voyage vers le passé avec Lausanne d’Antonio Soler
"Le train s’ébranle. Il commence à glisser sans bruit, on dirait que quelqu’un a lâché les freins dans une pente, ou bien c’est une légère hallucination, une erreur des sens."
Aux amoureux de l’Homme
dans son entièreté, ce livre vous ravira par son aspect profondément humaniste (pour
tous les autres, ceux qui espèrent plus qu’un effleurement de surface, passez
votre chemin). Sensibles et vrais (mais profondément vides, si l’on compare
notre septuagénaire cornue aux frères Karamazov, ou même à Nana) les
protagonistes de Lausanne semblent
tout droit sortis d’une réalité particulièrement proche du commun des terriens
(si l’on considère les histoires adultères d’une mamie dans un train comme
représentatives du commun).
"Nous étions trois cœurs tressautant sur le plateau tournant d’une roulette un peu bancale. Aucun des trois n’était meilleur que les autres."
Au fil des rails, de
gare en gare, la septuagénaire Margarita, héroïne du roman, se remémore son
passé, douloureux et tranchant. (On l’aura compris : les Best-Seller se
construisent en pensant à la ménagère de moins de cinquante ans, après avoir
soustrait la logique et les responsabilités). Un voyage mélancolique semé de
souvenirs enfouis dans un présent non moins terrifiant. Un voyage en train (quoi
de mieux pour se contenter d’une trame narrative en ligne droite, accessible au
tout-venant) relevant l’analogie entre le déroulement de la vie et les
kilomètres parcourus à vive allure. Des passagers qui rappellent à la
protagoniste les acteurs de sa propre fiction (car dans un Best-Seller, tout
tourne autour de rien). Elle se laisse prendre au jeu de la ressemblance, où sa
détresse lui rend une vision faussée de la réalité qui l’entoure. Le trio de
personnages que berce le roman, Margarita, Jesús son mari, et Suzanne, qui fut
sa maîtresse pendant 7 ans, charme le lecteur par son destin fatalement
tragique (et désespérément soporifique, diront les plus cyniques.)
La plume sensible (et
c’est là où le lecteur fera son choix : en considérant ce dernier terme au
superlatif ou au nadabsolu) d’Antonio Soler procure à cette œuvre le délicat
désespoir et la touchante peine d’une femme brisée par la vie. Le silence
endurant et la tristesse cachée et jetée dans un puits sans fond sont la trame
de ce roman émouvant et persistant.
"Pourquoi Antonio Soler compte parmi les meilleurs écrivains espagnols ? Parce qu’un romancier n’a pas pour seule vocation de raconter une histoire, mais plutôt d’inventer une écriture, une musique, un point de vue." Frédéric Vitoux, Le Nouvel Observateur.
"Pourquoi Antonio Soler compte parmi les meilleurs écrivains espagnols ? Parce qu’un romancier à succès n’a pas d’autres choix que de s’adapter à la globalisation de la médiocrité pour se vendre."
Elodie Blain
Antonio Soler, Lausanne, Albin Michel, octobre 2012, 286 pages, 22 euros.
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