Contre la manipulation médiatique : «Le gouvernement des émotions», un essai de Pierre Le Coz

Partant du constat que «l’émotion est la chose la mieux partagée» au monde, mais que ce processus «va de pair avec une hyperpersonnalisation des problèmes politiques qui marque l’érosion des frontières symboliques», Pierre Le Coz, professeur de philosophie qui dirige actuellement le département des sciences humaines de la Faculté de médecine de Marseille, nous avertit dès le début de son livre que «les exploitations médiatico-politiques de notre époque sont là pour nous rappeler que l’émotion est le cheval de Troie de la manipulation».


En même temps, il n’oublie pas de préciser qu’il ne faut pas confondre «nos émotions les plus authentiques » (indignation, crainte, peur, respect, compassion, angoisse) avec l’excitation provoquée par l’afflux incessant des informations qui finit par faire de ceux qui les ingurgitent des «mufles affectifs». Pour éviter cette confusion entre ce qui est authentique dans notre vie affective et le bruit provoqué par «le charivari médiatique» qui utilise l’émotion à de fins de matraquage émotionnel, l’auteur plaide pour «une régulation de notre vie affective».


Sous un regard attentif à l'intérieur des différents courants philosophiques, il nous montre que «l’accès aux valeurs se [fait] par les émotions» et que dans un jugement de valeur, l’être humain a besoin d’un «noyau affectif universel et inentamable» (Hume) et que devant l’opacité des phénomènes, nous avons besoin d’une «reproduction affective» pour nous armer contre «un émotivisme naïf qui consisterait à croire que nos émotions sont toujours fiables» (Max Scheler). «La phénoménologie – écrit Pierre Le Coz – postule que l’émotion est une manifestation intérieure qui renferme un sens accessible à tous».  

 

Cette réalité concerne non seulement le domaine privé mais aussi notre vie sociale. Par conséquent, une société qui serait victime d'un dérèglement émotionnel ne pourrait vaincre la «sinistrose» qui règne sur l’ambiance idéologique génératrice d’un «soupçon généralisé», et, par conséquent, il est tout à fait évident que cette même société «ne peut pas vivre d’une remise en cause permanente de ses propres piliers».


En supposant que tout sens a besoin d’une interprétation universellement valable, comment se prémunir de la clé capable de cette traduction pour éviter, à la fin, tout risque de compassion contagieuse ?


L’auteur nomme cette clé comme étant une méthode «qui réside dans le combat des émotions contre elles-mêmes». Il appelle ce processus «un mécanisme de régulation de nos élans compassionnels». Mettre une hiérarchie dans nos émotions semble être, selon Pierre Le Coz, la solution idéale dans nos relations avec les autres, surtout lors de nos désaccords avec nos interlocuteurs. Et cela parce que l’intensité émotionnelle avec laquelle nous mesurons les valeurs n’est jamais la même pour tous.


«Chacun – nous dit le philosophe – doit être à la hauteur des exigences normatives qu’il entend faire respecter par les autres.» L’homme moderne est pris au piège par «l’hyperstimulation sensorielle» ce qui lui rend impossible sa capacité de «méditer, clarifier, expliciter» ce qu’il vit. Ce n’est pas par les moyens de la volonté ou par celui du libre arbitre qu’il va y arriver mais par cette hiérarchisation des émotions, sur laquelle il n'hésite pas d'insister, par un réglage de leur intensité, «par le choix des conditions favorables à l’émergence d’autres émotions qui viendront équilibrer les premières».


En reprenant cette idée, l'auteur conclut que, s’il est vrai que les émotions nous rendent sourds «aux messages d’autres émotions connexes», la seule solution est de ne pas céder à son intensité qui bloquerait «toute possibilité de décryptage et de distance critique».


Entre la loterie des émotions et la kermesse médiatique des émotions, Pierre Le Coz plaide pour un équilibre moral et un rationalisme critique.


C’est pour lui la seule solution pour échapper aux oppositions simplistes et accéder à la complexité des débats de société.

 

Dan Burcea

 

Pierre Le Coz, Le Gouvernement des émotions… et l’art de déjouer les manipulations, Éditions Albin Michel, oct. 2014, 208 p., 15 euros.

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