Sophie Carquain, Manger dans ta main

A quarante quatre ans, Luisa vit au Portugal dans une semi-retraite qui ne lui convient pas.

Elle a suivi son mari mais regrette sa vie à Paris où elle était active. Couturière, puis dame de compagnie d’une dame âgée, elle aimait son indépendance. En Algarve, elle s’ennuie malgré sa belle maison, sa piscine qui ne sert pas (elle ne sait pas nager !).

Alors quand son époux lui rapporte un minuscule porcelet, sa vie bascule. Elle l’élève comme un animal de compagnie, le baptise Rose et s’émerveille de son affection et de son intelligence.

Rose vit dans la maison, apprivoise le chat, aime la musique, réussit mille tours comme un chien de cirque, quémande caresses et câlins.

Luisa passe pour une demi-folle, son mari et ses amis ne cessent de lui rappeler l’impensable : Rose tout aussi adorable soit-elle est destinée à finir en pâté, ce qu’elle ne peut imaginer.

Et puis il y a Sandra, sa fille, une brillante psychologue pour ados anorexiques, qui elle-même se nourrit de trois feuilles de salade par jour. Sandra qui est si dure avec elle, ne comprend pas son affection pour Rose et lui balance : « Engraisser les autres, c’est ce que tu sais faire de mieux » !

Dans Manger dans ta main, il est beaucoup question de nourriture : « ce qui la calmait, c’était de voir des gens repus. Son mari, ses enfants, sa chatte Suzette ».

Ce roman est un ouvrage sur le corps fantasmé, le corps trop maigre, le corps absent. Celui de Virginia, l’autre enfant, disparue lors du crash du vol Rio-Paris, que Luisa ne désespère pas de retrouver en vie, plusieurs années après.

Riche et complexe, passionnant et subtil, Manger dans ta main explore la cruauté de l’homme dans son rapport aux animaux, le refus de voir l’intelligence animale. Il n’est pas anodin souligne l’auteur que le porc, l’animal le plus proche de l’homme soit celui qui est le plus persécuté. S’appuyant sur les travaux de Michel Pastoureau dans Le cochon, notre cousin mal aimé Sophie Carquain évoque une "rivalité mimétique dans laquelle, le cochon pourrait bien être notre "double moderne", celui qui nous ressemble trop donc qui est menaçant, d'autant plus qu'on lui découvre une sensibilité et une forme d'intelligence. Il pourrait bien être la métaphore de ce second cerveau que nous explorons actuellement".

Comme si manger de la viande permettait à l’homme de se sentir au dessus de l’animal.

Une thématique de la nourriture que Sandra explore à distance et malgré son opposition à sa mère à travers ses ateliers d'écriture avec les adolescents en souffrance.

Rapports homme-animal, relations mère-enfant, deuil impossible sous-tendent ce livre.

Faudra-t-il le sacrifice de l’animal pour que mère et fille se retrouvent ?

Sophie Carquain auteur de littérature jeunesse et journaliste spécialisée en psychologie a co-écrit plusieurs essais avec la psychologue Maryse Vaillant.

Elle publie avec Manger dans ta main  son premier roman.


Brigit Bontour


Sophie Carquain, Manger dans ta mainAlbin Michel, mars 2017, 313 pages, 21,90 eur



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