ALEXANDRE DUMAQUET L’Autre Dumas
est un film qui ne manque pas de charme, mais il n’échappe pas à la
malédiction qui frappe tous les films qui entendent traiter de la
création littéraire : il passe à côté de son sujet. Ce qui est cependant
regrettable, c’est qu’il y avait sans doute ici l’occasion d’éviter
cette fatalité et qu’elle n’a pas été saisie.
Tous les
films qui prétendent faire le portrait d’un écrivain se sont cassé les
dents contre un insurmontable obstacle, qui est que le cinéma voit (et
montre), alors que la création littéraire est une affaire
essentiellement intérieure. Essayons d’imaginer un film sur Proust
composant sa Recherche… Un type au lit en train de gratter des
feuillets deux heures durant. Palpitant. Bien sûr, on pourra toujours
ajouter deux ou trois flashbacks séminaux très essentiels, cela ne
changera rien au fond de l’affaire. Le truc généralement imaginé par les
scénaristes pour sortir d’une telle impasse, c’est l’ajout d’une
intrigue secondaire, le plus souvent imaginaire, et foncièrement hors
sujet. Dans le Jean de La Fontaine, l’éponyme était censé avoir
suscité chez Colbert une colère telle que celui-ci aurait essayé de le
faire exécuter par des hommes en noir. Dans Molière, le jeune
Poquelin aurait courtisé de trop près la femme du bourgeois qui devait
lui inspirer plus tard son Monsieur Jourdain. Admettons… (L’honnêteté
oblige à dire, malgré tout, que ce Molière s’efforçait de poser
une vraie question littéraire, celle du changement de nature d’un genre
à un moment donné de l’histoire du théâtre : comment et pourquoi un
individu nommé Molière a-t-il entrepris un jour de remplacer la farce
par la comédie de caractère ?)
L’Autre Dumas
pouvait, par son principe même, extérioriser enfin le processus de la
création, puisqu’il est construit autour des rapports d’amour et de
haine, d’admiration et de mépris, unissant et désunissant Alexandre Dumas et le plus important de ses « nègres », Auguste Maquet (v. à ce
sujet l'article sur l’ouvrage de Bernard Fillaire, Alexandre Dumas, Auguste Maquet et associés). Maquet, donc, propose, Dumas dispose. Auguste écrit,
Alexandre récrit. Alexandre imagine, Auguste consigne. Et seul Alexandre
signe. Il y a donc, oui, dans l’Autre Dumas, deux ou trois
scènes qui nous font entrer dans l’intimité de ce duo et assister à ses
parties de ping-pong tout à la fois verbal et écrit, mais elles doivent
en tout et pour tout occuper trois minutes sur une heure quarante.
Le reste, comme d’habitude dans les biopics d’écrivains,
est une espèce de vaudeville avec quiproquos (pourquoi pas ? c’est le
sujet, avec Maquet vu comme le double de Dumas, et prenant l’identité de
celui-ci pour séduire une belle enfant) et portes qui s’ouvrent et se
ferment. On accepterait ce vaudeville s’il ne prétendait s’inscrire
étroitement dans un épisode révolutionnaire transformant Dumas lui-même
en une grande figure politique, et surtout, on serait prêt à fermer les
yeux sur ces fantaisies historiques (car les auteurs pourront toujours
nous dire que, comme Dumas, ils se sont accordé le droit de violer
l’histoire pour faire à celle-ci un bel enfant) si l’ensemble ne
respirait terriblement l’approximation du point de vue littéraire.
Anachronismes, invraisemblances, scènes de farce… Soit ! Mais qu’au
moins, lorsqu’on s’attaque à la question du métier d’écrivain, on
s’attache un peu à celle du langage ! Or, pour donner deux ou trois
exemples parmi bien d’autres, nous pouvons voir dans ce film Maquet
faisant une belle faute d’orthographe au verbe connaître lorsqu’il
dédicace un ouvrage à une admiratrice ; le même Maquet s’écrier « je
suis en pleine écriture » quand l’histoire (la vraie) nous dit qu’il a
fallu attendre Roland Barthes pour donner au mot écriture le
sens d’acte même d’écrire ; et Maquet, toujours et encore, répondre à un
sarcasme de son bourreau Alexandre en lui lançant : « l’humour est la
politesse du désespoir ». Certes, comme tous les mots célèbres, cette
belle formule est attribuée à une demi-douzaine d’auteurs différents,
mais une chose est sûre : elle n’a pas été prononcée avant le XXe
siècle, tout simplement parce qu’il a fallu une bonne partie du XIXe
siècle pour que cette notion d’humour made in Britain s’impose en
France : l'adjectif humoristique n’est reconnu par l’Académie française qu'en 1878.
Nous avons découvert ce film à l’occasion d’une avant-première
organisée non pas pour la presse, mais pour le corps enseignant, les
producteurs s’étant sans doute dit qu’il y avait avec les profs un
public gagné d’avance, d’autant plus que Maquet, « l’Autre Dumas », le
vrai héros du film, donc, était lui-même professeur d’histoire avant de
s’engager dans la négritude. Las ! nous sommes obligé de rejoindre ici
le jugement désabusé d’un pédagogue à l’issue de la projection : « Pas
mal, mais difficilement exploitable avec des élèves… »
Reste Depardieu, bien sûr, qui à lui tout seul vaut le déplacement. Plus
Depardieu que jamais, mais si convaincant en Dumas qu’au bout d’une
minute on oublie Depardieu pour ne plus retenir que Dumas. Poolvoerde en
Maquet n’a rien à lui envier, mais sa tâche est peut-être un peu plus
aisée, dans la mesure où nous n’avons guère l’habitude de voir des
portraits de Maquet sur les couvertures. FAL
L'AUTRE DUMAS
Un film de
Safy Nebbou
Avec Gérard Depardieu, Benoît Poelvoorde, Mélanie Thierry
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