Alexandre Vialatte : sa correspondance avec les Cahiers du Sud

Editeur au Signe de la Licorne, Pascal Sigoda offre un catalogue qui s'enrichit au fil des années de véritables merveilles. Non point de ces romans de gare monumentaux (j'entends en nombre de pages) propres à sidérer le grand public. Bien plutôt de raretés ou de curiosités dont seuls les amateurs de littérature font leur miel. Ainsi a-t-il a oeuvré, plus et mieux que nul autre, à la reconnaissance posthume d'Alexandre Vialatte. On lui doit, du "Grand Alex", plusieurs ouvrages, dont la Correspondance avec Jean Dubuffet. Et les délicieux Proverbes bantous ("Il n'y a pas de bas morceaux dans le gras missionnaire").

 

Affinités géographiques, assurément. La Licorne a élu domicile à Clermont Ferrand, dans cette Auvergne dont Vialatte avait su tirer la quintessence - autant dire l'absolu. Mais il y a d'autres connivences, moins évidentes à l'oeil nu. A commencer par une tournure d'esprit proprement 'pataphysique. Le goût des rapprochements insolites. Des oxymores qui unissent les contraires jusqu'à rendre évidente leur identité. En particulier, le sérieux scientifique et l'espièglerie ludique des farces de potaches, couple qui traverse aussi bien l'oeuvre de Vialatte que le catalogue de Pascal Sigoda.

 

Dans celui-ci, Dominique de Roux, Jean-René Huguenin, André Hardellet, René Daumal, quelques autres pour happy few. Les Cahiers du Sud y occupent une place importante. On sait, ou on a oublié, que cette revue littéraire, fondée à Marseille par Jean Ballard en 1925 et qui survécut jusqu'en 1966, joua un rôle non négligeable dans l'activité intellectuelle de notre pays, notamment pendant la Seconde guerre et l'Occupation, publiant des auteurs tels que Simone Weil et Francine Bloch. "En marge de Paris et à son avant-garde", comme l'écrira, pour s'en réjouir, l'auteur de Battling dans une de ses chroniques de La Montagne.

 

Alexandre Vialatte lui resta attaché durant quelque trente-trois années, ce dont témoignent les courriers publiés ici. La première lettre, de Jean Ballard, est datée du 15 octobre 1929. La quatre-vingt-dix-septième et dernière, du même, porte la date du 4 avril 1960. Dans l'intervalle, des relations d'abord courtoises, empreintes d'estime, voire d'admiration, puis franchement amicales. L'écho de quelques très rares différends, pour des raisons souvent plus matérielles qu'intellectuelles ou idéologiques. Car, en filigrane, et des deux côtés, se dessine une impécuniosité latente. Preuve que la crise de l'édition et de la presse écrite ne date pas d'hier et que vivre de sa plume n'est pas une sinécure.

 

Cet échange de correspondance revêt un intérêt double : il révèle d'abord la qualité "naturelle" du style de l'écrivain, aussi fluide et précis dans ses écrits privés que dans ses romans, ses articles ou ses chroniques. Il renseigne ensuite sur la revue elle-même, son organisation, ses relations avec les intellectuels allemands opposés au nazisme, en écho aux fluctuations de la vie politique nationale et internationale.

 

Dans leur préface respective, Alain Schaffner et Pétrus Batselier éclairent tout cela. Le second (mais quel drôle de pseudo !) esquisse un judicieux parallèle entre Vialatte et Daumal. Et puis il faut aussi saluer comme il le mérite l'appareil critique. Chacune des lettres est assortie de notes qui ne laissent rien ignorer des personnages cités ou des circonstances. Si bien que tout devient limpide. D'autant que des annexes copieuses - critiques d'Alexandre Vialatte par les Cahiers du Sud et réciproquement, bibliographie, iconographie - concourent à l'exhaustivité d'un dossier passionnant.

 

Jacques Aboucaya

 

Correspondance Alexandre Vialatte - Les Cahiers du Sud, Editions Au Signe de la Licorne, décembre 2012, 170 pages, 25 euros.

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