Alexis Ruset, un maître de l'histoire...

On pourrait croire tout d’abord à une évocation de l’armée française en Indochine, fort bien dépeinte : "… Changeant d’apparence et de chemise avec la complicité des paysans, le bo doi armé d’une grenade se métamorphosait en paisible nhaqué, attendant, la sarclette sur l’épaule, qu’un enfant juché en vigie sur le dos d’un buffle lui fasse le signe convenu dès qu’il verrait pointer des chapeaux de brousse.
Puis les officiers qui reviennent d’Indochine débarquent en Algérie et, sidérés, trouvent Alger en état de siège. Le capitaine Renaudin va découvrir qu’un de ses plus fidèles soldats a été découvert égorgé, en compagnie de deux femmes elles aussi assassinées. Peu à peu, nous sommes emportés dans l’effrayant tourbillon de la guerre d’Algérie.

L’art exceptionnel d’Alexis Ruset est de nous contraindre à le suivre dans un monde presque oublié de nos jours, tandis qu’il retrace des dizaines d’années de l’histoire de la France et du vaste monde. Gardant toujours la distance exacte, l’auteur brosse peu à peu sa fresque et nous emmène : "Quand je suis arrivé, c’était trop tard. Salim, il baignait dans son sang, et les deux femmes aussi. […] Alors je suis venu ici avec le bébé en me disant qu’elle serait bien avec toi, mon capitaine…"
Et l’officier va adopter une enfant dont il ne sait presque rien… L’époque est au complot, à la vengeance, aux plasticages. 

Passant au travers des violences terribles de la guerre d’Algérie, la petite fille va se retrouver dans les Vosges. Pendant ce temps, le sinistre personnage responsable de l’assassinat, un nommé Guerite, sera pourchassé par les divers ennemis qu’il s’est fait, à force de trahisons. La fillette grandira, épousera un jeune notable et aura trois enfants ; la petite dernière, Julie, ignorant presque tout des origines de sa mère, va rapidement rejoindre les déments qui veulent servir le "califat" et militer avec ceux qui ne connaissent que très mal le sens du mot djihad. Viendront les attentats de Paris en 2015, le temps de la frayeur et de Je suis Charlie.

Embrassant cinquante ans de notre histoire récente, Alexis Ruset façonne un roman de l’histoire : difficile de le cataloguer "roman historique", car il est beaucoup plus respectueux de l’histoire que la plupart des fictions ainsi dénommées. Maître dans l’art de conter des histoires, Ruset est surtout un maître de l’histoire. Nous prend alors l’envie de relire ses deux précédents romans – ils nous rassasieront pour cet automne.

Bertrand du Chambon

Alexis Ruset, Pour que justice soit faite, éditions Zinédi, septembre 2019, 281 p.-, 20 €

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