Rejoignant, dans la série des grands formats dernièrement parus (Un album de jeunesse & Calligrammes d’Apollinaire), Ubu roi prend ses aises. Voici qu’apparaissent les Ubs. Sortis de l’imagination d’Etienne Delessert. Graphiste suisse vivant aux USA. Mondialement connu pour avoir illustré plus de 80 livres. Et être le créateur du célèbre personnage Yok-Yok.

Les Ubs sont nus. Et pas jolis. Il n’y a aucun décor. Sans doute parce que le paysage est si vaste, qu’on ne le voit pas… Ubu ? Un piètre bonhomme, finalement. Bouffé par son ambition, dévoré par ces flammèches qui lui sortent des oreilles. Mais sait-il au moins où il va ? Il tourne, vire, monte, descend, il rampe il bondit mais pourquoi tout ce cirque ?

Quant à sa femme : nez pointu, plutôt un bec. Et ces serpents qui ondulent dans sa coiffe. Elle donne le frisson. Son sein ne donne pas envie… Mais c’est elle qui mène la barque. Voix flutée. Elle manipule le bonhomme. Prendre le pouvoir. La belle affaire !

Tout cela pour finir par la guerre. Même si les Ubs parviennent à échapper au carnage, ce n’est pas joli joli, tout ça… Merdre alors ! On en pleurerait (de rage) si cela n’était pas si drôle. Finalement !

 

Une langue si moderne. Si adaptée au monde grossier d’aujourd’hui. A ce modèle sociétal qui tergiverse. Ni droite ni gauche. Ou les deux à la fois. Donc rien. Voilà pourquoi il n’y a pas de décor. Puisque c’est la vie de tous les jours. Faîtes donc un petit effort d’imagination. Remplissez le vide. Brut de décoffrage. Et vous relirez le texte avec une autre approche. Un drôle de goût en bouche…

 

Alfred Jarry a fait paraître pour la première fois cette farce en 1896. Au Mercvre de France. Quelques mois seulement avant sa création mouvementée au théâtre de l’Œuvre. Une pièce étrange. Décalée. Surréaliste avant l’heure.

Le père Ubu, officier du roi, prend le pouvoir. Manipulé par son épouvantable épouse. Souverain grotesque et tyrannique d’une Pologne imaginaire, il part guerroyer. Sans but réel. Mais, comme le gros niais qu’il est. Il est mis en déroute. On le pourchasse. Il doit s’enfuir…

 

Cette farce, au départ canular lycéen monté en épingles par la verve de Jarry, devint, au fil des décennies, le texte majeur sur l’arrogance et l’absurdité du pouvoir. Ubu stigmatise, par ses outrances bouffonnes et sa violence parodique, cette rupture profonde qui va marquer le répertoire du théâtre du XXe siècle…

120 années plus tard, revoici le chef d’œuvre d’Alfred Jarry.

 

Annabelle Hautecontre

 

Alfred Jarry, Ubu roi, 18 illustrations d’Etienne Delessert, 230 x 287, Gallimard, novembre 2015, 128 p. – 29,00 euros