Boris Taslitzky, une œuvre en résistance

J’aime la nature et les hommes qui sont d’elle. Je fais le portrait d’un arbre comme celui de mon semblable. Des termes simples et profonds, déjà tout prend du sens. D’autres vont confirmer les reliefs, accuser ce regard d’humanité que le peintre portait sur le monde et la société. Il écrit encore : Je dessine comme d’autres collectionnent, je m’empare des expressions et des regards perdus, je vole les pensées, j’ai dessiné la joie et l’outrage.
S’ajoutent enfin des traits que l’œuvre entière reflète, la vigueur, la modestie, la résistance, l’originalité.
Isolé, je ne le suis pas. Ce serait bien facile. Je m’y refuse. Seul sur mon chemin mais solidaire de ceux qui font l’Histoire, au jour le jour, je suis partie intégrante de leurs foules innombrables. Avec eux je fais consciemment le tour du monde et faisant seul celui de l’atelier, c’est d’eux encore que je parle, que je témoigne en homme de métier, adroit, dont l’habileté technique conçue comme un service se doit de traduire l’esprit de cette grande dame dont l’approche paraît si simple mais demande tant d’analyse : l’Honnêteté.
En quelque sorte, Boris Taslitzky, par les seules couleurs qu’il emploie et les lignes qu’il trace se met à découvert et lève le voile sur les souffrances de notre temps et sa puissance de résilience.

Né le 30 septembre 1911, Boris Taslitzky nous renvoie à l’actualité puisque son père était Ukrainien et sa mère originaire de Crimée. Sa vocation de peintre, il en ressent l’appel tout jeune. À 17 ans, il étudie aux Beaux-arts. Lorsqu’il est prisonnier à Buchenwald, il décrit sur plus de 200 dessins et croquis l’enfer des camps de concentration avec un réalisme tel que les scènes une fois vues ne s’oublient plus. En elles, selon un auteur, transparaissent comme en mémoire du drame subi les harmonies funèbres des Désastres de la guerre de Goya.
Le dessin naît lentement, passe par des phases surprenantes disait-il. La guerre pour lui a été une étape fondatrice.

 

Les dessins et les tableaux de Taslitzky sont toujours porteurs d’une force visuelle qui caractérise sa manière de rendre compte en conscience des instants de la vie dans leur vérité autant que dans leur cruauté, leurs injustices vécues au quotidien et leurs préjudices envers les compagnons alourdis par les labeurs et les infortunes, qu’ils soient déportés, soudeurs, pêcheurs, paysans. Tel un cri de colère peint sur la toile, confuse mêlée de coups et de hurlements survenant le long de la coque noire d’un navire, Riposte (1951) relate la violente répression menée contre les dockers de Port-de-Bouc refusant de charger des armes destinées à la guerre d’Indochine.
Nouvel angle d’approche de sa démarche d’humaniste-témoin, cette attention aux activités des métallos dans les forges et les aciéries de Denain (Les Délégués, 1947) comme celle réservée aux populations soudain aux prises avec l’indicible (Tremblement de terre à Orléansville, 1954), alors qu’il est en Algérie.

Cet ouvrage, auquel de nombreux experts et connaisseurs de son œuvre et de son existence ont collaboré, accompagne la première grande rétrospective que lui consacre La Piscine, le célèbre et magnifique musée de Roubaix. Au fil des pages, c’est l’ample stature d’un peintre qui se dégage, ses engagements sociaux, politiques et esthétiques, son regard rivé dans le nu de la vie que ses tableaux traduisent sans douceur mais sans fausse honte, sans dévier aucun fait de la réalité.  

Une bonne partie du livre est consacrée aux très nombreux autoportraits et portraits que Boris Taslitzky a exécutés. Une découverte majeure. On peut noter que la véracité ne le cède pas à la sensibilité et qu’elles s’unissent pour retenir ce qui dans les visages est d’abord bienveillant, intime, venant de l’intérieur de la personne. Il ne faut pas oublier également que si le pinceau, l’encre noire, le crayon graphite étaient au service de ses combats, la plume restait à celui de ses connaissances artistiques, son goût pour l’analyse critique, sa qualité d’écriture ciselant en quelques phrases des silhouettes impeccables.
Ainsi notait-il en 1966 s’agissant de Giacometti que son regard fut un défi constant à l’indifférence, de Géricault qu’il admirait plus que tout qu’il était un être jeune, beau, riche, fort, puissant de santé, profond de pensée, qu’un insuccès renverse, qu’un sourire exalte, et qui mourra misérablement ou encore de Fromentin : Il faut être deux fois grand écrivain pour donner à voir un paysage ; il suffit peut-être de l’être une fois si l’on est peintre et, peintre, Fromentin l’était plus et mieux que ne le croient ceux qui font profession d’écrire sur la peinture.
Avec un talent qui n’appartient qu’à lui, Boris Taslitzky, mort en 2005, parcourt, relate, offre et transmet le siècle qui a été le sien.

Dominique Vergnon

d’Alice Massé et Bruno Gaudichon (sous la direction de), Boris Taslitzky, l’art en prise avec son temps, 365 illustrations, 250 x 285 mm, In Fine éditions d’art, mars 2022, 336 p.-, 30 €

www.roubaix-lapiscine.com jusqu'au 29 mai 2022

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