Alicia Gallienne : écrire c’est vivre

Tel que cela fut écrit sur la couverture de ses dossiers de poésie, lettres capitales et feutre noir rehaussé de rose : J’ÉCRIS JE VIS ; un peu comme si Alicia Gallienne s’imposait en tant que totale contraire au Pavese dont Le métier de vivre sonne le tocsin alors qu’ici brille l’amour de la vie. Et la bouleversante préface de Sophie Nauleau peint ce parcours à mille kilomètres par heure d’une jeune fille condamnée qui refusait l’inéluctable. Au point de cacher son mal à ses amants, de briller plus fort puisque moins longtemps mais qu’importe le flacon car l’ivresse l’accompagna tout au long de sa si courte vie qui débuta très tôt sous les auspices de la poésie…
Et quel extraordinaire destin que celui d’Alicia, comète des Lettres éprise d’absolu tout en maîtrisant si tôt, si jeune, le rythme du décompte funèbre. 

Le chapeau à plumes 

[…]

Viens faire un tour de toi dans les figures du sommeil 
Telle qu’une boîte à musique ta sensibilité se remonte 
Viens faire un tour de tête-à-tête avec la grande peinture 
Attention le monde est un joli chapeau à plumes 
Que l’Art aime à semer au vent parfum dérisoire 
Vois-tu l’incohérence cela se travaille 
Et la réalité parfois a plus d’un tour dans son sac 
La sale mendiante aux dents gâtées 


Point de lamentations, même si le Livre noir n’est pas d’une totale joie, mais la dextérité avec laquelle elle jongle avec ses mots offre au lecteur une impressionnante démonstration de la force inépuisable qui l’habitait. Brûlant tel un soleil de midi en plein été, Alicia suspendait son vol le temps d’un présent renouvelé à chaque instant malgré la conscience d’une incroyable injustice. Or, ce temps compté devait être consacré à l’amour, à l’accueil du monde en ses multiples entrées, afin d’en extraire le précieux sésame qui permet d’endurer toutes les souffrances.  

La prière d’un soir 

[…]

Mon âme se perd dans l’importance 
Un bruissement d’ailes comme l’envol d’un ange 
Et tes pas qui s’en vont et qui laissent derrière eux 
Une présence infinie et rassurante 
J’incline la tête dans le miroir trouble 
Et mes yeux s’effacent sur ton ombre 
Et mes yeux te ressemblent un peu 
Lorsque j’avance seule dans ta nuit 
Marche unique  
Marche de ton absence


C’est elle qui nous manque aujourd’hui, ange éternel dont ses proches conservent tendrement l’image, soit dans un carnet, une photo, une lettre, toute présence matérielle qui rappelle le tourbillon de joie qui se mettait en branle dès lors qu’Alicia paraissait, parlait, lisait ses poèmes. Car depuis toujours, elle affirmait écrire pour être lue.
Il aura fallu attendre plusieurs décennies après sa disparition pour que le public puisse accéder à cette œuvre ; et désormais des lecteurs toujours plus nombreux par l’entremise de cette version en poche. Un livre de chevet, de transit, un compagnon de voyage à tenir à portée de mains pour l’ouvrir au moment du basculement, afin de garder foi en demain, même s’il apparaît que quelque chose cloche ici-bas. 

François Xavier 

Alicia Gallienne, L’autre moitié du songe m’appartient, préface et choix de Sophie Nauleau, postface de Guillaume Gallienne, Poésie/Gallimard n°563, septembre 2021, 384 p.-, 8,60 € 
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