Paul Nougé et ses illiminations sans extases

L’objet bouleversant que peut être la poésie se passe chez Nougé de tout ce que le Surréalisme français a entretenu : la mythification et la mystification. Pour Breton il s’agissait par ce stratagème fallacieux de reconquérir une liberté d’imagination étouffée par le positivisme ambiant. Le Belge à l’inverse a toujours insisté sur la nécessité, pour la poésie de s’accomplir autrement et en évitant de pose fût-elle celle d’un poète le couteau entre les dents sagement installé au fond d’un café germanopratin ou bruxellois.

Sa manière de saisir le monde permet de percevoir le familier de manière subversive par une suite de dérapages. L’auteur et photographe a su rendre le monde inquiétant jusque dans de moindres détails et au sein même de l’érotisme. Pour preuve, une paire de gants prêts à s’échapper d’une boîte tandis qu’une femme a le dos tourné cheminent à la surface d’une muraille à la manière d’insecte.  

L’artiste brouille les pistes comme les valeurs du vrai et du faux, du réel et de l’illusoire en des mises en scène et en mots minutieusement calculés bien. Son travail se détache de la question du moi, de la subjectivité, au profit d’une sorte d’objectivité  démontée puis reconstruite.

Dans ses instantanés de La Chambre au miroir, un univers de montage suffisamment original donne à sa production photographique et poétique un jeu impertinent propre à mettre en abîme le regard voyeur donc humain. De la chair au verbe, comme du verbe à l’image l’érotisme relève d’une technique originale . Rompant avec les critères d’authenticité, de vérité et de spontanéité, Nougé préfère le calcul et la méthode à la sincérité. Il privilégie le travail "à façon" pour manipuler le langage et dévoyer les poncifs l’érotisme.

Un tel irrégulier de la langue et de l’image - paria toujours sur la force de l’imaginaire contre la séduction exercée par le réalisme photographique. De plus, mettant fin à une sorte d’intériorité créatrice, l’auteur fait de sa production langagière un moyen de désacraliser la marque ou le sceau d’un créateur.
La pertinence descriptive prend donc avec Nougé un nouveau sens, un accent plus grave mais aussi un rire plus que malicieux. Il débarrasse l’art et la littérature d’idéaux superfétatoires dans une programmatique capable d’une mise à l'écart des joyaux à deux balles. Rendre visible l’invisible ne revient pas à se mirer dans un miroir en attendant l’ascension des merveilles mais d’explorer de nouveaux chemins à parcourir. Nougé en a ouvert plus d'un.

Jean-Paul Gavard-Perret

Paul Nougé, Au palais des images les spectres sont rois - écrits anthumes 1922-1966, Allia, mars 2020, 792 p.-, 35 €

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