On a l'habitude de lire dans la presse à scandales les énervements judiciaires de tel quidam devenu personnage de roman et portant plainte contre l'auteur aux fins de respect de sa vie privée, son droit à l'image, comme dans l'affaire Scarlett Johansson vs Grégoire Delacourt, ou tant d'autres micro-scandales de la littérature du nombril. C'est d'un tout autre point de vue que Mathieu Saladin aborde son identité de personnage de fiction dans le roman d'Amélie Nothomb Robert des noms propres. 

"Au fond, j'ai de la reconnaissance pour mon auteur, mais de la nostalgie pour ce que j'étais aussi, comme dans la vraie vie somme toute..."

En quelques pages, Mathieu Saladin est devenu un autre, dont il exprime la nostalgie en "chansons", textes lus d'une voix volontiers atone sur ses propres musiques. Dans l'album Colonel, Mathieu Saladin met à nu ses petits démons et quelques espiègleries (comme dans "preserfacile@hotmail.fr" où il montre l'usage du préservatif dans un couvent...). Le plus souvent, les textes sont graves mais aussi un peu germanopratins... Les musiques, qui pourraient accompagner un film ou un documentaire animalier (Mathieu Saladin est 1er prix de l'Ecole normale de musique de Paris), accompagnent parfaitement ses voyages, la souffrance de la perte de sa mère ("ma mère") aussi bien que son rêve de Transylvanie ("Lettre") ou l'affection pour son nounours ("petit lion"). 

"Me voilà maintenant à mon tout

Au tournant des chemins, des destins

Voyons si le temps qui me reste

Est clément autant que fidèle

Fils d'elle j'étais, je resterai."

Même si l'intérêt que l'on porte à cet album tient plus à Amélie Nothomb qu'à Mathieu Saladin lui-même, et que quelques textes un peu faciles pour faire voyou nuisent un peu, cet ensemble forme une plongée très intéressante, une expérience, dans l'univers assez sombre d'un personnage de fiction. 

Loïc Di Stefano

Mathieu Saladin, Colonel, septembre 2014, 12 titres, 17 eur