Atrides belges : Nothomb ou la question d'honneur

Amélie Nothomb, récemment anoblie, pose dans son très court roman Le Crime du Comte Neville une question propre à l'étiquette et aux fondements même de la noblesse. Pour ce qui regarde l'histoire à proprement parler, on se reportera à l'article d'Ariane Bois. Ce qu'il nous intéresse de souligner ici, c'est la portée critique du roman qui, sous couvert d'une petite histoire un rien farfelue et qui s'achève par une pirouette - disons-le un peu rapidement -, s'interroge sur les motifs qui fondent et font se perdurer les règles de la noblesse. 

Qu'apporte le titre sinon des devoirs et des règles de vie qui s'imposent même au détriment de sa famille ? Laisser mourir sa fille malade parce qu'il serait malséant de signaler au monde sa ruine ? maintenir la malnutrition pour s'offrir les moyens d'une garden-party mensuelle où les enfants seront heureux de racler les restes ? vu de l'extérieur, il peut s'agir de comportements criminels et, à tout le moins, parfaitement crétins. Mais le privilège de porter un nom, un titre, d'habiter dans un château - qui lui-même est comme un membre de la famille, voire l'enfant chéri - implique aussi le sacrifice de son confort personnel : il faut admettre que l'on n'est qu'un maillon dans la longue chaîne qui a commencé avant nous et doit se prolonger après. 

Cette nécessité de recevoir et de transmettre induit un comportement qui doit rester sans faute au regard de l'étiquette, qu'importe si la morale des "gueux" est mise à mal. Et tout le roman d'Amélie Nothomb tient sur cette faille morale, sans vérité d'un côté ou de l'autre, sinon des deux : deux mondes s'opposent leurs règles propres et étanches. 

C'est ce piège de l'héritage qui est tendu aux personnages du Crime du Comte Neville, et même si la nasse se referme un peu abruptement et en laissant échapper sa proie, aussi bien qu'un soupir du lecteur qui pourra trouver que c'est un peu court et conclut " la va-vite", Amélie Nothomb parvient notamment dans des dialogues savoureux à maintenir cet équilibre d'un entre-deux. Qu'importe, après tout, les drames intérieurs, le mal-être de la petite Sérieuse et la volonté du père de commettre l'acte absolument ignoble d’infanticide si les règles qui prévalent dans la noblesse belge sont respectées !

Loïc Di Stefano

Amélie Nothomb, Le Crime du Comte Neville, Albin Michel, août 2015, 135 pages, 15 sur

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