André Beucler – Léon-Paul Fargue, Correspondance 1927-1945 : Des lettres qui transpirent l’amitié
L’exposition internationale de 1937 bat son plein. Fargue rend compte d’une visite aux pavillons qu’on installe : Tout est encore à ras de terre, excepté les Allemands qui ont déjà deux étages et un kilomètre de crocodiles d’acier terribles. [...] J’ai un laissez-passer. On boule dès l’entrée dans cinquante centimètres de boue, de conduits, de tripes prétentieuses et de fils de fer. On ne peut s’empêcher de penser à d’autres visites restées célèbres dans l’Histoire... Le rivage méditerranéen inspire la métaphore lumineuse à “Léopion”, qui savoure une joie de vivre chapardée dans le dos de la mouise : Toulon, la digue, les maisons étroites, incurvées comme une tranche de Chester, les spatules reptiliennes de la mer qui a le cœur gros au bout des ruelles. Les filles de Saint-Tropez (Brigitte Bardot et les starlettes du chaud-bize ne sont pas encore en terrasse) suscitent ce commentaire sensuel digne de Colette : Il y a ici de belles filles couleur d’amande grillée, de cuisses pur caraque, gonflées comme des crosses de cacao, des filles de cinéma qui jouissent de l’arrière-saison. On salive après coup...
La guerre déroule ensuite ses bandes grises, sur une grande largeur. Beucler, de son côté, n’est pas au mieux entre ses ennuis de santé et la difficulté de se ravitailler en argent frais. Giraudoux décède : les deux amis accusent le coup. Beucler, philosophe : En parlerions-nous pendant mille ans que cela ne changerait rien. Et il faut durer. Je voudrais bien être avec toi, avec Lestringuez, les amis, pour avoir moins froid. Il est question de cela, justement, dans ces lettres justes et vraies comme l’amitié : avoir moins froid, en attendant des jours meilleurs.
On se prend à regretter l’époque où, loin des sms et autres pollutions sonores des hommes-cabines téléphoniques, l’amitié passait par l’écrit, avec une cette sincérité et cette poésie quotidienne. On relira avec profit le magnifique Dimanche avec Léon-Paul Fargue (Le temps qu’il fait, 1997) d’André Beucler, dont la quatrième de couverture est un manifeste : L’éternité est à la disposition du premier venu. Nous avons le temps. Nous bavardons et nous rêvons. Nous rêvons que nous bavardons... On ne saurait mieux qualifier cette amitié des lettres.
Frédéric Chef
André Beucler-Léon Paul Fargue, Correspondance 1927-1945, Presses universitaires de Paris Ouest, édition établie et annotée par Bruno Curatolo, mars 2014, 132 pages, 17 €
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