"Autres Directions" d'André Blanchard : souvenirs, coups de gueule et aphorismes

L’auteur vit à Vesoul, fuit les mondanités et a depuis longtemps déserté les sorties promotionnelles qui accompagnent généralement la parution d’un livre.


Travaillant à l’accueil d’une galerie d’art, André Blanchard publie depuis 1989 une série de carnets dans lesquels il livre ses réflexions sur la littérature et la société, au fil des lectures ; entre souvenirs, coups de gueule et aphorismes.

 

« Quand je pense que Mauriac, dans les années cinquante, fustigeait le gros du public « abruti par le cinéma ». Dieu que la barre était encore haute ! Et il traitait son époque de "parvenue du néant". La nôtre en serait plutôt la trainée. »

 

Autres Directions couvre la période 2006 – 2008. Blanchard le précise en ouverture : c’est un livre qui parle avant tout d’écrivains. Morts pour la plupart. Des écrivains chez lesquels l’auteur va puiser son inspiration et trouver la force de se projeter plus avant ; Mauriac, Flaubert, Malraux, Calaferte, Léautaud, Beauvoir ou encore Bernanos pour ne citer qu’eux.


Toujours sur le ton de la confidence, à la manière d’un Chardonne, Blanchard fait office de passeur et donne envie d’aller y voir de plus près, même si dans le détail on est loin de l’exercice d’admiration. Entre langue classique et populaire, Blanchard revient sur Albert Cohen, les supposées insomnies de Cioran, et le suicide de Drieu, non sans s’interroger sur ses choix politiques, mais en se gardant de rejoindre les lyncheurs d’après la bataille.

 

Il évoque aussi Bernard Frank dont le décès lui rappelle, dans un vertige palpable, qu’il a atteint un âge où la majorité des amis est déjà sous terre. Cette terre qui appelle, comme l’écrivait Gottfried Benn ; et Blanchard de dresser la liste des appelés, comme pour mettre la mort à plat et s’extraire de l’angoisse à travers une litanie de noms propres. Même si, selon lui, et n’en déplaise à Montesquieu, la lecture ne fait pas le poids face au véritable chagrin.


Écrivain dilettante, comme il se définit lui-même, on sent chez Blanchard plus qu’un goût, mais bien une nécessité de la concision, de la fulgurance et de l’envolée sauvage où il se distingue, entre deux gorgées de spleen. La peur de la page blanche n’est d’ailleurs jamais loin, notamment lorsqu’il s’agit de ralentir la cigarette suite à des soucis de santé, ce qui revient pour Blanchard à congédier sa muse.

 

« Je n’ai jamais rien lu de lui, ce qui frôle l’exception tant il débite à tout-va de la copie : d’où la question, inquiète : une plume qui a une telle tchatche, ne noie-t-elle pas, à défaut du poisson, ce filet qu’est le style ? »

 

Chez les vivants, on croise ici et là les ombres d’Angot, Nothomb ou Houellebecq que l’auteur balaye dans un soupir consterné. Blanchard égratigne mais ne s’acharne pas, ne s’attarde pas, même s’il radote un peu lorsqu’il s’agit de s’attaquer à la foi, inondant ses pages de « grenouilles de bénitiers » et autres « culs bénis » au risque de s’épuiser dans une indignation au rabais.

 

« S’étonner de trouver fermées des portes qu’on a soi-même, jadis, condamnées. »

 

A l’instar des précédents Carnets, Autres Directions s’articule autour des saisons, suivant l’humeur du moment, au gré des lectures et des événements. Les commentaires purement littéraires et les instants poétiques côtoient les attaques envers l’exhibitionnisme généralisé, les chantres du cosmopolitisme ou la rhétorique de l’art contemporain dont l’auteur, en première ligne, rapporte la débilité des supercheries avec une morgue amusée.


Misanthrope sympathique et nostalgique sauvage, André Blanchard devra, à son grand désarroi, s’attendre avec cette nouvelle livraison à voir grossir les rangs de ses admirateurs et s’armer de patience devant les curieux qui auront voulu voir Vesoul.

Quant aux fidèles, ils ne seront évidemment pas déçus. Blanchard fait toujours du Blanchard et c’est, semble-t-il, ce qu’il fait de mieux.


Arnault Destal


André Blanchard, Autres Directions, Le Dilettante, février 2011,  219 pages, 17 euros



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