André Chabot, L’Érotique des cimetières : Éros et Thanatos

L’érotique des cimetières est un livre qui ne m’a pas laissée de marbre. Mais j’avoue avoir toujours été attirée par ces lieux, fascinée par ce qui s’y révèle.

Ce bel ouvrage en mots et en images rassemble des textes passionnants sur les cimetières et ce qu’ils disent de l’amour , ainsi que des centaines de clichés en noir et blanc de tombes, mausolées et sculptures célébrant le corps des femmes, l’amour et ses étreintes, le désir érotique et l’extase qu’elle soit mystique ou charnelle.

 

Chair de la femme ! argile idéale ! ô merveille !

Pénétration sublime de l'esprit

Dans le limon que l'Être ineffable pétrit !

Matière où l'âme brille à travers son suaire !

Boue où l'on voit les doigts du divin statuaire !

Fange auguste appelant le baiser et le coeur,

Si sainte, qu'on ne sait, tant l'amour est vainqueur,

Tant l'âme est vers ce lit mystérieux poussée,

Si cette volupté n'est pas une pensée,

Et qu'on ne peut, à l'heure où les sens sont en feu,

Étreindre la beauté sans croire embrasser Dieu !

(Victoir Hugo – La légende des siècles)

 

Cimetière Gynécée. Très peu d’hommes. La femme, éternelle femme, assujettie au secours et à la protection des hommes qui espèrent encore en elle pour plaider auprès du Très-Haut. Il n’est pourtant pas nécessaire d’être nécrophile, érotomane ou croyant pour apprécier le travail d’André Chabot, promeneur nécropolitain monomaniaque comme il aime se décrire. Sous la matière de ces corps pétrifiés circule la ferveur de la vie et de l’amour. Les cœurs battent toujours à l’unisson, comme un défi au silence de la mort. On reste fasciné par l’omniprésence d’une luxure qui, parfois ne dit pas son nom sous couvert de poses recueillies, ou  s'affiche carrément pour faire la nique à la mort. Éros et Thanatos, bien sûr.

 

Je ne pense pas qu’il existe un homme ou une femme capables de rester insensibles à ce qu’il émane de ces pages, à la beauté des postures de ces gisants. Le cimetière est un lieu à part, non pas parce qu’il y règne le silence et le chagrin, mais parce que s’y exprime quelque chose de l’éternité et de l’indicible. Les photos prises aux quatre coins du monde affichent plus la joie de l’amour que sa douleur.

 

« La douleur dit : passe et péris !

Mais la joie veut l’éternité,

Veut la profonde éternité »

(Nietzche- Ainsi parlait Zarathoustra)

 

Les textes d’André Chabot, émaillés de références littéraires et poétiques, retracent intelligemment l’histoire des cimetières par-delà les siècles, comme autant de miroirs des mœurs et de la morale ambiante. Les sculpteurs donnent aux visages des airs de souffrance ou d’extase, les corps se couvrent pudiquement ou se dénudent impudiquement (la belle obscénité !) ,  selon les époques.

 

Les 18 chapitres joliment nommés Et mourir de plaisir, Les secrets frissons du marbre, La femme pour l’homme ou encore La femme pour Dieu, Péché d’amour, péché mortel… transportent en Europe et hors de ses frontières pour nous faire découvrir que ces cimetières ne sont pas des champs de tout repos… ça frissonne encore à fleur de pierre…

 

Sur le site de l’auteur, cette question à propos de l’ouvrage : « À ce florilège d'images des quatre coins du monde répond le texte d'André Chabot : pourquoi dans le cimetière chrétien tant de sculptures sensuelles ? » À vrai dire, les sculptures chrétiennes ont toujours représenté la sexualité, l’érotisme et la pornographie. Il suffit de lever le nez devant les églises ou de suivre le chemin de Compostelle.

 

Bizarrement, ce livre initialement édité en 1989 chez Henri Veyrier a reçu en 1991 le prix de l’humour noir. Je me demande bien pourquoi, il n’y a rien dans ce livre qui relève de l’humour ou de la drôlerie. Mais bon… Surtout n’achetez pas d’occasion cette première édition (épuisée)  elle est devenue hors de prix et est de piètre qualité, préférez celle de La Musardine, c’est un très beau cadeau de fêtes de fin d’année à se faire ou à offrir.

 

Anne Bert

© Photos : André Chabot


André Chabot, L’Érotique des cimetières, La Musardine, nouvelle édition, 100 photographies inédites, 300 photographies en noir et blanc, 225 pages, 32 €

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