Ici en deux : les débris d’étoiles d'André du Bouchet

Poète et traducteur (Hölderlin, Celan, Mandelstam), André du Boucher (1924-2011) s’est aussi illustré par de splendides textes sur l’art (L’incohérence, 1979) ainsi que des réflexions plus centrées sur ce qu’il nommait la « langue peinture » (Peinture, 1983). Et logiquement cela aboutit à ce que lui soit décerné en 1983 le Prix national des Lettres et le Prix du jury de la Biennale internationale de poésie de Liège… L’ensemble de ses manuscrits sera confié, en 2010, à la Bibliothèque littéraire JacquesDoucet.

Baigné par une double culture, André du Bouchet a grandi à Paris au sein d’une famille cosmopolite (lignée américaine, russe et française), ce qui leur permit de pouvoir s’exiler sans trop de difficultés aux États-Unis après la débâcle de 1940, sa mère, juive russe, ayant été interdite d’exercer la médecine.

Il rentre en France en 1948 après un brillant parcours universitaire américain (Amherst et Harvard) et travaille au CNRS puis entreprend une thèse sur l’élément visuel dans l’image poétique, sous la direction de Jean Wahl. Mais la rencontre de Reverdy, Ponge, Char, Bonnefoy, Dupin, Jaccottet et Celan va l’entraîner vers des chemins nettement plus amusants.

Oubliée la thèse, quitté le CNRS… et vive la poésie !

 

Par la poésie, André du Bouchet tentera de résoudre le questionnement de la fracture qui s’est insinuée en lui depuis ce terrible mois de juin 1940. L’exode l’a profondément chamboulé, une terreur sourde s’est insinuée en lui qu’il ne parvient pas à totalement chasser de ses pensées et cauchemars… Outre la fameuse ligne de démarcation ouvrant sur la zone libre, l’éclatement de la famille partie s’exiler, le déracinement ressenti au moment de quitter son pays, toutes choses qui brûlent l’âme d’un adolescent et dessinent l’inspiration du futur poète… Écartelé entre deux langues, donc deux cultures, le retour en France sera derechef une épreuve jusqu’à réapprendre l’idiome maternel, naturel pour pouvoir maîtriser la pensée intellectuelle et écrire en français.

La poésie est alors, pour lui, matériau indispensable pour réparer le monde, par fragments, et il s’inscrit dans une langue nouvelle hors du formalisme, au-delà des limites, refusant la clôture du texte et poussant vers une certaine modernité. Il est le premier à parsemer ses vers de points de suspension, certain que l’aspect visuel compte dans ma métrique de la musique dégagée à la lecture de son poème :


…la minute

qui se traverse, est plus volatile que les pierres, mais la pierre

est volatile, déjà prenant sur sa hauteur.

 

Déconstruire est, pour André du Bouchet, la manière de réintroduire dans le texte l’espace où s’était déployée, au départ, l’écriture. Toujours en compagnie d’un petit carnet, il s’offre de longues promenades et note ce que son esprit comprend du paysage, ce que ses yeux interprètent et laissent le temps se dérouler pour lui permettre de tâtonner. C’est ainsi qu’il arrivera à inventer un dispositif typographique inédit, qui prolonge et renouvelle les tentatives de Mallarmé et de Reverdy. C’est grâce à cet espacement du texte, qui déploie les énoncés sur la page de façon toujours plus audacieuse, qu’il a trouvé sa voix…

Déconstruction corrigée, liaisons logiques éliminées et remplacées par des blancs, réintroduction dans le texte du sens induit, la page prend alors le relais. L’écriture peut déployer ses ailes dans une liberté totale.

 

Un des aboutissements de cette démarche singulière est Ici en deux, paru en 1986. on y découvre le désir d’une totale coïncidence avec le monde, mariée à l’acceptation d’un écart irréductible… Alliance paradoxale qui est la signature du poète. Mise en lumière de cette fameuse faille qui lui aura ouvert les portes de la poésie…

Et offert cette si lumineuse mise en page(s).


François Xavier


André du Bouchet, Ici en deux, préface et notes bio-bibliographiques de Michel Collot, Poésie/Gallimard, novembre 2011, 208 p.-, 7,90 euros

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