De l’absence à la présence : Paule Du Bouchet

Paule du Bouchet fut l’enfant retenue lorsque sa mère l’abandonna à l’âge de six ans pour un homme dont le prénom devint un malheur, le nom une injonction au silence obligé. La créatrice a appris pour survivre à écrire, parce que contrainte à un certain silence obligé c’était la seule façon de parler. Parler mutique avant de parler et surtout de faire musique.
Le piano devint face à la dépossession, un havre, une façon de demeurer abritée en construisant peu à peu sa demeure pour s’exiler du silence.
Puis retrouver via son père des mots plus profonds.

Des mots qui ne se donnent pas facilement mais qui ne trompent pas et restent l’expérience d’un indicible. Face aux vagues faciles  de ceux du beau-père (René Char), ceux d’André du Bouchet avaient et gardent une autre envergure. Ce langage dur, acerbe affronte l’enfouissement afin de préserver l’espace qui exista avant la pénurie, la dépossession et l’absence d’amour qui rendit ensuite la vie fragile.

L’auteure casse la rétention de ce qu’elle avait dû mettre à l’écart par sans doute une raison de survie et de pudeur. D’où ce voyage avec le père et en sa musique contre l’oubli d’un conjoint lui-même oublié. L’enfant de jadis trouve les mots et la scansion  contre l’amnésie  propre au trauma premier. Désormais il ne s’agit plus de redoubler l’effet de la défection maternelle (comme Paule du Bouchet le fit dans un livre précédent)  mais pour se remémorer ce que l’enfant ne pouvait totalement recevoir. Il faut parfois du temps pour que certaines traces mnésiques reviennent face à d’autres - surtout lorsqu’elles initièrent une terrible carence, un si douloureux sevrage, une intolérable faim par une fin de non recevoir.

Dans le champ de la mémoire est donc venu le temps de redonner au père ce qui lui appartient. D’autant que c’est désormais celui-ci qui manque. Comme il manque au langage que Paule du Bouchet reprend pour faire bien plus qu’un portrait paternel : une construction de sa propre identité sans fusion de chimères mais un lieu où le temps permet de faire jaillir de leur  source des mots qui sont des témoins "assermentables".

A la souffrance ne fait pas place l’ébriété mais  une parole dont le blanc (cher à André du Bouchet) est la source. S’éprouve  une autre pensée que celle de l’abandon. La quête est récompensée : là où le langage semble se retirer pour faire place à sa musique, une partie du bonheur s’émet dans ce laps de corps et de langue qui tient de l’essai,  de la biographie et de l’autobiographie mais sans déboutonnage intempestif pour rejoindre un  "foyer" dont un feu reprend sa flamme à l’exact opposé des pétarades  Charnelles.
Ecrire revient ainsi à réviser le monde afin de faire réapparaître  l’image du père et de ses mots. Le blanc  - qui entourait ceux du père dans des pages où ils semblent surnager - réanimait le regret d’un foyer trop absent. Pour un tel travail ceux de sa fille avaient besoin de temps pour s’oser.

Jean-Paul Gavard-Perret

Paule Du Bouchet, Debout sur le ciel, coll. Blanche, Gallimard, 2018.

 

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