"Les présidents américains", les inconnus de la maison blanche


Kaspi, le spécialiste des études américaines


On ne présente plus André Kaspi : professeur émérite à la Sorbonne, auteur d’une biographie de Franklin Roosevelt qui fait toujours autorité, cet historien est un des piliers de la discipline au sein de l’université française. En collaboration avec Hélène Harter, professeur à Rennes 2, il propose ici une synthèse sur les présidents américains, parue initialement en 2012 et actualisée ici dans cette version poche de la collection Texto. Si ce livre ne propose rien de nouveau à destination des connaisseurs des Etats-Unis, il constitue cependant une très bonne introduction, écrite avec pédagogie et clarté, pour un public plus large qui ne connaîtrait rien de l’histoire de ces êtres mystérieux appelés présidents américains.


Faibles présidents ?


Un des mérites de l’ouvrage est de démontrer la faiblesse initiale des présidents américains face à un Congrès dont la Constitution américaine a fait le centre du pouvoir. Dans la 1ère moitié du XIXe siècle, après les pères fondateurs (Washington mais aussi Thomas Jefferson qui, malgré sa rhétorique initiale a exercé une présidence plutôt active), les présidents sont généralement des personnages ternes et falots. La situation change avec la guerre civile :en plein conflit, Lincoln accroit les pouvoirs de la présidence mais son action fait figure d’exception et, la paix revenue, le Congrès reprend toute sa place.


Le XXe siècle sera tout à fait différent, d’abord avec ce que les auteurs appellent la « Présidence rhétorique », inaugurée par Théodore Roosevelt. Celui-ci n’hésite pas à s’adresser à la Nation, affiche un activisme diplomatique - il joue par exemple le rôle d’intermédiaire lors de la l’armistice et du traité de paix entre empire russe et Japon en 1905- qui lui vaudra le Nobel de la paix. Roosevelt vise un rôle de premier plan pour son pays,auquel il s’identifie fortement.Logiquement, il accroit les prérogatives du président tout en renforçant sa capacité d’incarnation. Woodrow Wilson (1913-1921) s’inscrira dans ses pas. Après l’intermède républicain des années vingt vient la grande dépression et l’inauguration de ce que les auteurs appellent la « Présidence impériale »,incarnée par Franklin Roosevelt. Ce dernier augmentera ses prérogatives avec le New deal face à un Congrès réticent (et pourtant à majorité démocrate comme lui) et à une Cour suprême hostile. L’essor des pouvoirs présidentiels accompagne de fait l’extension des interventions étatiques dans l’économie et la naissance du « Big governement » et du « welfare state ».


Avec la guerre, Roosevelt parachèvera son œuvre et on peut dire depuis que les Etats-Unis ne sont jamais sortis de la « Présidence impériale », malgré le Watergate. Pourtant, le Congrès reste aussi puissant : il a limité les pouvoirs du président en matière d’interventions militaires au milieu des années 70 et reste capable de bloquer l’Etat fédéral : la crise récente du shutdown le prouve.


Qui sont les meilleurs présidents américains ?


André Kaspi et Hélène Harter expliquent que les Américains ne cessent de s’interroger sur ce sujet et des sondages fréquents montrent les classements successifs. N’observe-t-on pas le même phénomène en France ? Relevons cependant que deux présidents leur apparaissent sous-estimés dans la mémoire américaine (et il se trouve que je partage depuis longtemps ce jugement) :d’abord Lyndon Johnson, certes moins télégénique et charismatique que son prédécesseur, Kennedy, et responsable de la désastreuse guerre du Vietnam. Pour autant, son pays lui doit les lois sur les droits civiques (rappelons son origine texane !), les lois sur le MEDICARE et le MEDICAID, la lutte contre la pauvreté et son projet de grande société. Sur le plan intérieur, Lyndon Johnson a littéralement transformé son pays ; Richard Nixon ensuite, son successeur, porte sur lui l’infamie du scandale du Watergate. Il a pour autant mené une politique étrangère originale et, en reconnaissant la Chine populaire, a ouvert la voie aux relations américano-chinoises dont on ne peut que constater aujourd’hui qu’elles l’emportent sur les relations américano-européennes.


Le public français connaît mal les Etats-Unis et leurs présidents : voici l’occasion idéale de combler une lacune.


Sylvain Bonnet


André Kaspi & Hélène Harter, Les Présidents américains, collection Texto éditions Taillandier, août 2013, 272 pages, 9 €

Aucun commentaire pour ce contenu.