Andrée Chédid : le chaînon manquant poétique

Est-ce parce que c’est une femme qui écrit, ou est-ce parce que cette femme est née en Orient, que cette poésie transcende le lecteur en abordant différemment les inconciliables étapes d’une vie faite de soubresauts et d’extase ? Les deux, mon capitaine !
Andrée Chédid (1920-2011) nous donne à lire une poésie de la transmission de l’âme, une musique qui préserve et aide à perdurer cet or de la vie ; mais une âme de l’hors, de ce dehors de soi qui pousse certains d’entre nous à se construire un destin extraordinaire : être un lien, une passerelle entre deux mondes – comme le fut Salah Stétié, autre poète oriental écrivant en français –, traverser les espaces, se porter vers l’Autre pour lui confier son secret, mêler les cultures, embrasser les désirs…

Vivre en poésie, ce n’est pas renoncer ; c’est se regarder à la lisière de l’apparent et du réel, sachant qu’on ne pourra jamais réconcilier, ni circonscrire.

Une vie et une œuvre au-delà de la mort qui ne serait alors qu’une étape de plus sur un chemin autrement plus long qui procure de multiples naissances comme autant de voyages pour étayer un idéal, une manière d’être, une vie de cœur et d’esprit, à poursuivre de génération en génération…
Et malgré une vérité du quotidien qui jamais ne fut reniée, Andrée Chédid s’enivrait des plaisirs offerts, allant de découvertes en découvertes, fréquentant les mondes du théâtre, du cirque, de la musique… s’émerveillant de tout.

La lucidité n’y suffirait pas. L’esprit veille, mais comme à travers une vitre, et ne peut – privé d’aide – amorcer un retour. Quel miracle reste-t-il à souhaiter ?

Emerveillement donc, qui la fit rester jeune jusqu’au dernier souffle, fréquentant essentiellement des jeunes pour garder le contact, et rester dans le coup. Elle aurait certainement été joyeuse de voir son arrière-petite-fille passer son bac l’année où l’un de ses poèmes était un sujet d’examen, reliant ainsi le réel, ce présent si souvent oublié dans la poésie, avec l’esprit du poème, intemporel, parfois irréel, mais toujours, avec Andrée Chédid, inscrit dans le sillon humain, éternel alors, pour mieux relier les Hommes au-delà des siècles les siècles.
Sorte de chaînon manquant, elle nous insuffle cette volonté d’aller, comme disait René Char – Aller me suffit – source infinie d’inspiration qui lui permettra d’écrire ses poèmes si profonds avec si peu de mots… Une écriture de l’essentiel, une sobriété lexicale qui renforce le propos, ordonne le rythme et fait claquer le poème comme un coup de fouet au-dessus de nos têtes perverties par ce monde digital qui vise à détourner les Hommes de leur priorité.

L’extrême – hantise du poète – demeure au-delà de ses limites ; cependant, sans espoir final, il continue d’aller.

Alors, nous aussi, allons, marchons vers notre fin programmée avec cette petite lueur au coin des yeux, conscients, lucides, mais empreints néanmoins d’un peu de légèreté pour mieux jouir des petits plaisirs du quotidien…

François Xavier

Andrée Chédid, Textes pour un poème suivi de Poèmes pour un texte, préface de Mathieu Chédid, Poésie/Gallimard, mars 2020, 576 p.-, 12,30 €

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